N° 2 > 2010 | Violences faites aux femmes

Jane Freedman

Les résolutions internationales contre les violences faites aux femmes : un outil pour la protection ?

Présentation des relations entre les affects et l’émergence de certains concepts à partir d’un film tourné en 2005 sur les réfugiés du Darfour au Caire. Insistant sur la valeur heuristique des images dans l’élaboration d’une problématique filmée.

DOI : https://doi.org/10.34847/nkl.f1bfmm3c

L’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU de la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité a été vue par de nombreuses militantes féministes comme un large pas en avant dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans les conflits armés. Dix ans plus tard, après l’adoption de plusieurs nouvelles résolutions onusiennes traitant du sort des femmes pendant les conflits armés et leur rôle dans la résolution de ces conflits, le bilan reste mitigé. Si l’adoption des résolutions onusiennes, en tandem avec l’évolution du droit pénal international, a pu avoir un impact symbolique important en inscrivant les questions des violences liées au genre pendant les conflits sur l’agenda international, les impacts réels de ces résolutions sur le terrain dans les pays en guerre sont moins tangibles.

Le passage de la résolution 1325 en octobre 2000 est le fruit des années de travail et de mobilisation par des groupes féministes. La résolution peut être vue comme une révolution dans le paysage des politiques internationales sur la sécurité : en effet, c’est la première fois que le Conseil de sécurité a reconnu que les femmes avaient le droit de participer à tous les niveaux au processus de prévention et de résolution des conflits, et du maintien de la paix. La résolution appelle tous les États membres à prendre des mesures spécifiques pour protéger les femmes et les filles pendant les conflits et à mettre en œuvre un processus de « gender mainstreaming » dans les opérations de maintien de la paix et de reconstruction post-conflit. Suite à la résolution 1325, le Conseil de sécurité a adopté d’autres résolutions sur des questions spécifiques relatives à la problématique des rapports de genre dans les conflits armés. Notamment, en juin 2008, une résolution sur les violences sexuelles dans les conflits armés (résolution 1820) a été adoptée. Cette résolution reconnaît que les violences sexuelles sont utilisées comme tactique de guerre et demande la cessation immédiate de toutes formes de violences sexuelles contre les populations civiles pendant les conflits armés. En septembre 2009 une deuxième résolution sur les violences sexuelles pendant les conflits (résolution 1888) appelait à la création immédiate d’un représentant spécial qui pourrait coordonner les efforts des organisations internationales et les autorités nationales dans la lutte contre ces violences.

Malgré toutes les résolutions onusiennes et les débats qui ont eu lieu sur ces questions dans l’arène internationale, les violences sexuelles et les violences contre les femmes pendant les conflits continuent. Nous pourrions donc nous demander si ces résolutions et les actions internationales qui les accompagnent ont eu une vraie utilité. D’un côté, nous pouvons souligner l’importance symbolique des résolutions internationales qui ont créé un régime international de lutte contre les violences sexuelles pendant les conflits. Mais, d’un autre côté, nous pourrions noter un décalage important entre les normes et les conventions internationales et leur mise en œuvre au niveau national ou local. Les obstacles à la concrétisation des résolutions internationales sont multiples et existent au niveau des organisations internationales elles-mêmes mais aussi au niveau des gouvernements nationaux et des organisations de la société civile. Aux obstacles liés à un manque de coordination entre organisations, des inefficacités bureaucratiques et un manque de financements pour des programmes sur les femmes et le genre, s’ajoutent des problèmes liés à la compréhension même des rapports de genre et de la position des femmes dans les sociétés en conflit.

Un problème majeur dans la mise en œuvre des résolutions onusiennes réside dans le fait que ces résolutions n’ont pas de pouvoir contraignant à l’égard des États membres qui, de ce fait, sont souvent lents à suivre les recommandations internationales. La résolution 1325, par exemple, a appelé chaque État-membre à mettre en place un Plan d’action national, mais à l’heure actuelle il n’y a qu’une vingtaine de pays qui ont élaboré un tel plan (la France n’est pas parmi ces pays). Il semble que pour la plupart des pays, cette question n’est pas prioritaire. Les plans nationaux qui ont été formulés peuvent être critiqués pour leur approche « intégrative » plutôt que « transformative » de genre (Hudson, 2009). En d’autres termes, ces plans « ajoutent » les femmes à des structures et des actions déjà existantes, sans s’interroger sur les rapports de genre qui sous-tendent les violences sexuelles pendant les conflits.

Si les organisations internationales ont été plus rapides que les États à mettre en place des plans d’application des résolutions onusiennes sur le genre pendant les conflits, la concrétisation de vrais programmes de travail est toujours compliquée. Les organisations de l’ONU doivent mettre en place une politique de « gender mainstreaming » ce qui veut dire qu’ils doivent intégrer les approches « genrés » à tous les niveaux des opérations. La mise en place des activités liées à l’application de la résolution 1325 a souvent été effectuée dans le cadre de cette politique de « mainstreaming » qui est elle-même critiquée pour son manque de pouvoir transformatif des opérations des organisations internationales. Une des principales concrétisations de la résolution 1325 a été d’envoyer des conseillers sur le genre dans les missions présentes dans les pays en conflit. Un conseiller sur le genre au siège de l’UNDPKO à New York soutient le travail de ces conseillers sur le terrain. Un des problèmes signalés par ces conseillers sur le genre est un manque de respect pour le travail qu’ils/elles font par les autres membres des missions de l’ONU. Ils/elles n’ont pas de budget spécifique alloué et donc sont dépendants de la volonté du chef de mission pour financer des projets liés au genre et à la protection des femmes. Une conseillère explique qu’elle n’a pas pu accéder aux populations rurales loin de la capitale parce qu’elle n’avait pas l’argent pour financer des déplacements dans le pays où elle travaillait (cité dans Keaney-Mischel, 2006). Le fait d’avoir à convaincre sa propre organisation avant de lancer des initiatives pour protéger les femmes et pour faire avancer l’égalité de genre est un problème qui est souligné par plusieurs femmes qui ont travaillé pour les missions onusiennes de maintien de la paix. L’ex-conseillère sur le genre pour les missions de l’ONU en RDC (République Démocratique du Congo) affirme, par exemple, que quand elle est arrivée, on ne lui a pas donné d’ordinateur ni de voiture ; en bref, il était clair qu’elle n’était pas la bienvenue dans cette mission (Cohn et al., 2004). Cette résistance à l’intégration des activités et des programmes sur les femmes et le genre peut aussi être observée chez certaines associations de la société civile et certaines ONG, pour lesquelles la question des femmes reste secondaire. La présence de ces conseillers sur le genre peut être très importante pour faire avancer les questions sur la protection des femmes pendant les conflits armés comme l’ont montré les recherches sur la Sierra Leone (Barnes, 2008). Mais trop souvent ces conseillers n’ont pas les ressources nécessaires pour mener à bien leurs activités sur le terrain.

D’ailleurs, même quand il existe une volonté de faire quelque chose pour aider les femmes victimes de violences sexuelles, les solutions apportées ne sont pas toujours adaptées au contexte local, surtout quand ces victimes risquent souvent d’être stigmatisées ou même chassées par leur communauté si elles parlent des violences subies. Puechgirbal donne l’exemple d’un centre de soins en RDC qui donnaient des soins et des conseils aux victimes de viol. Comme ce centre possédait des ressources très limitées, les ONG et les organisations internationales ont proposé de construire un nouveau centre médical protégé par des soldats. Mais bien sûr une telle solution était absurde – il était très peu probable que les femmes congolaises victimes de viol veulent être vues entrant dans un tel centre entouré de soldats. Pour elles, le plus important était la discrétion et le fait de pouvoir être soignées sans se faire remarquer par la communauté (Puechguirbal, 2004). Un tel exemple illustre le problème des solutions « importées » de l’extérieur sans une vraie réflexion sur les conditions locales, y compris sur les rapports de pouvoir et de domination qui existent au sein des communautés. De pareilles pratiques ont été notées dans les programmes de protection des réfugiés. Des violences sexuelles sont fréquentes dans les camps de réfugiés et les femmes se trouvent dans des positions d’insécurité lorsqu’elles doivent aller chercher, par exemple, de l’eau ou du bois (Freedman, 2007). Pour y répondre, dans plusieurs camps, des sections spécifiques pour les femmes « vulnérables » ont été établies. Mais le fait de mettre à part ces femmes et de les montrer comme « vulnérables » peut en fait accroître leur insécurité parce qu’elles seront plus facilement identifiables par les auteurs des violences. Ce type de problème ne peut être résolu qu’en dialoguant avec les populations locales pour identifier leurs vrais besoins. Un tel dialogue est trop souvent absent des activités des organisations internationales et des ONG qui ont tendance à importer des solutions de l’extérieur sans prendre en compte des initiatives locales (Barnes, 2008).

Pour être un outil vraiment efficace contre les violences sexuelles il semble que les actions et les politiques internationales devraient être adaptées aux situations locales avec une vraie prise en compte des rapports imbriqués de domination dans chaque contexte. Mais pour cette adoption locale de la résolution 1325 et les autres, il faut que les informations sur ces résolutions filtrent jusqu’aux femmes qui sont elles-mêmes concernées, ce qui n’est pas toujours le cas. L’UNIFEM (United Nations Development Fund for Women) a fait traduire la résolution dans plusieurs langues locales pour pouvoir la diffuser plus facilement auprès des populations locales, mais il est toujours vrai que la plupart des femmes ne sont pas elles-mêmes au courant de son contenu. Même si l’adoption des résolutions onusiennes et les avancées du droit pénal peuvent être vues comme des outils de plaidoyer à l’usage des femmes au niveau local pour faire avancer leurs droits, le manque d’information reste un obstacle crucial. Une avocate en RDC, qui a étudié l’impact de la résolution 1325 dans son pays, remarque l’ignorance de la résolution par les femmes et surtout des femmes dans les provinces. Elle note aussi les obstacles qui existent toujours à l’accès de ces dernières aux procédures judiciaires, des obstacles qui sont liés à des pratiques discriminatoires persistantes (Esambo Diata, 2008).

Les résolutions onusiennes sur les femmes, la paix et la sécurité sont importantes en mettant ces questions à l’agenda et en créant des outils pour ceux et celles qui veulent protéger les droits des femmes pendant les conflits armés. Mais pour dépasser les obstacles qui existent à la mise en œuvre de ces résolutions, il faut une vraie réflexion sur les rapports de pouvoir et de domination qui existent – des rapports de genre, d’ethnicité, de race et de classe. Pour faire cela il faut dépasser la simple vision des femmes comme « victimes » des conflits armés et voir aussi les divers rôles qu’elles jouent. En considérant les femmes comme actrices et non comme victimes passives, il serait possible d’écouter leur voix et de développer des stratégies adaptées aux contextes locaux et aux besoins des femmes et des hommes dans des périodes de conflit et de post-conflit. Les organisations internationales et les ONG devraient travailler avec les populations locales en écoutant leurs besoins et en soutenant leurs propres initiatives, pour pouvoir arriver à des solutions qui sont acceptées et acceptables par tous, et qui offrent une vraie protection et une réelle sécurité aux populations des pays en conflit.

Jane Freedman
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