Sources du troisième montage
- Journal télévisé de TF1 de 2009, issu du 20 heures, à l’occasion de l’Aïd à Marseille.
- Le deuxième extrait est produit par LCM une chaîne TV SUD, chaîne télévisuelle marseillaise généraliste créée en 2005. C’est une chaîne française, locale et privée ; elle est diffusée dans les Bouches-du-Rhône, notamment dans l’agglomération marseillaise et aixoise, principalement sur le réseau TNT. Le reportage a été diffusé en 2010, pour la promotion du festival l’Aïd dans la Cité, c’est une interview de la directrice de l’UFM13 : Nasséra Benmarnia.
- Trois vidéos de Youtube, qui ont moins de 300 vues :
– Interview de Nouredine Hagoug, mari ou compagnon de Nasséra Benmarnia, président de l’UFM13 de 2008 à 2011, lors de la Fête consacrée à l’Aïd el-Kébir, devant le siège de l’association à Marseille. Cette vidéo a été prise le samedi 6 novembre 2010 par un internaute qui a pour pseudonyme : Philippedemarseille.
– Danses traditionnelles d’Algérie lors d’un concert pour l’Aïd dans la Cité à l’Espace Julien, salle de concert à Marseille, le mercredi 25 Novembre 2009. Ce spectacle a été monté en partenariat avec la Maison de la culture de Tizi Ouzou et a reçu le soutien du service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France à Alger.
– Intérieur du siège de l’association UFM13, en 2010. La vidéo a été filmée et mise en ligne par un internaute, membre de l’association, dont le pseudonyme est moujahid13.
Source : Voir filmographie. Par ordre d’apparition : (TF1, 2009 ; LCM, 2010 ; Philippedemarseille, 2011 ; Espace Julien, 2009 ; moujahid13, 2010)
Pour rappel, l’association UFM13 aurait créé en 2003 l’Aïd dans la Cité, une fête à partager en, mais l’événement ne commence à avoir d’occurrence sur internet qu’à partir de 2006, comme étant la seconde édition, l’édition de 2005 étant toutefois mentionnée. Sur le site même de l’association, l’archive du programme le plus ancien date de 2009. L’historique de ce festival n’est donc pas facile à reconstituer sur la toile, d’autant que les informations se contredisent. Le festival dure entre quatre et neuf jours selon les éditions, et s’organise autour d’un thème annuel décliné en exposition (photographique, picturale ou autour de la bande dessinée), en conférence-débat, en concert, en spectacle de danse, en projection de films, en activités en grande majorité payantes. Un deuxième volet accompagne le festival, celui des ateliers proposés au public (calligraphie, cuisine, danse, etc.), d’un thé dansant destiné aux anciens et d’une journée gratuite particulière « La grande fête de la famille et du partage » organisée généralement au Dôme de Marseille et qui clôture le festival.
Pour l’édition de 2011, 20000 personnes auraient participé au festival. Selon sa directrice, Nasséra Benmarnia, cette initiative est partie du constat que l’Aïd el-Kébir :
« […] est une fête, qui comme Noël, est célébrée aussi par ceux qui ne sont pas pratiquants. C’est la fête la plus importante pour les musulmans, et rien n’était fait pour les aider à la célébrer ! On explique des choses aux enfants, il y a un aspect important de transmission de la culture qui se passe à cette occasion. »
L’adjectif musulman est ici un référent culturel, qui n’englobe pas forcément d’aspect religieux. C’est précisément dans cette volonté que le festival est présenté dans les médias et sur le site de l’association comme une « grande kermesse laïque ». Puis, dans cet entretien qu’elle accorde à BabelMed, elle poursuit sur le festival l’Aïd dans la Cité, une fête à partager :
« C’est, comme Noël, la fête de la famille, et la fête du partage. Dans la symbolique, le mouton est divisé en trois parts : une pour la famille, une pour les démunis, une pour les autres. Et cet esprit de fête était totalement occulté. Nous avons proposé le projet d’un festival qui inclut tous les habitants de la ville : parce que dans le partage, “les autres”, ça veut dire les non-musulmans. Quand j’étais petite, dans notre famille nous allions, pour l’Aïd, offrir une épaule d’agneau à nos voisins espagnols ou portugais qui étaient pauvres. Et puis, il y a une dimension culturelle très forte dans cette fête : par exemple, des plats spéciaux sont préparés pour l’occasion, la panse farcie, ou la tchicha en Algérie, avec les pieds et la tête. Or le patrimoine culinaire, c’est du patrimoine culturel ! »
La dimension de partage est très fortement valorisée dans la dénomination même du festival comme « fête du partage », et en rappel au mouton qui doit être partagé :
« ce mouton doit être une offrande, on doit le partager avec les pauvres, la famille. C’est un mouton de partage » [TF1, 2009, 00 :35].
C’est un festival qui s’adresse à tous, musulmans et non musulmans et qui se doit d’être
« ouvert au maximum aux autres, de partager notre fête » [Philippedemarseille, 2011, 04 :22],
c’est-à-dire
« partagé avec l’ensemble de la population marseillaise » [LCM, 2010, 01 :51], car c’est une « fête citoyenne » [TF1, 2009, 01 :21].
Au-delà de la dimension de partage, il y a la volonté de se démarquer des clichés véhiculés sur l’Aïd el-Kébir : « […] c’était “les agneaux qu’on égorge”, “le mouton qu’on tue dans sa baignoire”. Nous, on voulait sortir de ces clichés, et donner toute sa place à cette fête, qui est la plus importante dans la culture musulmane«. Ou encore dans le montage : « c’est le mouton égorgé, un barbu pas très sympathique » [Philippedemarseille, 2011, 04 :41]. L’Aïd dans la Cité, une fête à partager a donc pour vocation de déconstruire le mythe médiatique.
En effet, selon la volonté de sa présidente, ce festival veut se dissocier de l’Aïd comme fête religieuse, en valorisant une culture musulmane, mais en fait surtout maghrébine, au sens large (Zahia Ziouani, chef d’orchestre née à Paris de parents algériens est présentée comme « d’origine maghrébine » [LCM, 2010, 03 :10]). En effet, il a pour but de « valoriser la culture arabe, [d]es gens issus de l’immigration qui travaillent dans la culture » [LCM, 2010, 03 :55], on la voit avec le groupe Méditerranée, au siège de l’association qui joue de la musique chaabi [moujahid13, 2010, 04 :22], avec le ballet Les étoiles de Mouloud à l’Espace Julien qui présente des danses algéroises, du chaoui, du allaoui, du tindi, etc. [Espace Julien, 2009, 5 :51 à 07 :00]. La musique, la calligraphie [LCM, 2010, 03 :15], les débats et les films [LCM, 2010, 03 :48] sont des éléments culturels véhiculés et transmis dans ce festival, mais il y a aussi le henné, les danses orientales [TF1, 2009, 01 :31], la cuisine [LCM, 2010, 03 :21 à 03 :42], etc. où le référent maghrébin est le plus présent.
Les personnes rencontrées sur le terrain, qu’elles soient d’origine comorienne ou maghrébine, ne m’ont jamais mentionné ce festival, en revanche certaines ont fait des allusions péjoratives aux Nuits du Ramadan, à Aix-en-Provence et à Marseille, comme concerts organisés à la fin du ramadan, où « l’alcool coule à flot » et « le raï remplace les invocations d’Allah ». Ce sont aussi des critiques que l’on trouve sur Saphirnews, site d’information pour les musulmans de France et d’Europe, créé en 2002, quand le journaliste Antoine Dreyfus poste un article le 3 novembre 2010 sur le festival l’Aïd dans la Cité, qui est commenté par deux internautes : Ah bon ? et Tâlib :
« C’est quoi cette nouvelle mode de culture musulmane ? Du thé en abondance, halawiyet et machroubet ?
De grâce, stop à cette image, produit de la colonisation, montrant un arabe servant du thé !
Où sont les œuvres des grands savants musulmans, notamment de l’Andalousie qui ont sorti l’Europe des ténèbres du Moyen-Âge ? Plus que jamais, l’Islam est attaqué de toutes parts, n’est-ce pas le moment de les mettre en lumière ? »
[Posté par Ah bon ? le 04/11/2010 à 00 :03]
Puis Tâlib, ajoute :
« As’salamoualaykoum,
Pour appuyer le commentaire de “Ah bon ?”, ce genre de pratique traditionnelle d’une compréhension erronée des enseignements de l’Islam, est le produit voulu des anciens maîtres et colonisateurs. La majorité des “beur(rette)s” se prenant parfois pour des arabes, parfois pour des françai(se)s, mais voulant surtout et tellement ressembler aux non-musulman(e)s pratiquant(e)s des mœurs occidentales perverses (sous-entendant que certaines mœurs de vie occidentale ne le sont pas), ce genre de “beur(rette)s” ne savent plus réellement qui ils(elles) sont.
Ils(elles) mélangent leurs traditions culturelles en prétextant que cela fait partie de l’Islam, alors que ce n’est que le résultat de leurs mauvaises compréhensions des enseignements de l’Islam, basées sur leurs passions et leurs ignorances. Preuve en est, cette main de fatma sur l’affiche annonçant de la musique et autres pseudo-conférences : http://www.ufm13.org…
Pour leur instruction islamique, la main de fatma n’a rien à voir avec l’Islam, et c’est un objet de chîrk (associationnisme).
Que les organisat(rices)eurs et concerné(e)s craignent ALLAH et se repentent au plus vite, incha’ ALLAH.
Was’salamoualaykoum. » [Posté par Tâlib le 09/11/2010 à 17 :04]
Ces commentaires critiquent justement cette « culture maghrébo-musulmane », figée autour de symboles comme le thé à la menthe, les pâtisseries orientales ou la Khamsa. Pour ces deux internautes, devenus lecteurs, les organisateurs de ce festival sont aussi des producteurs de mythe, selon l’analyse barthésienne, qui relaieraient la déformation de sens établie par les colonisateurs eux-mêmes. La notion de culture et la dimension culturelle, que souhaite « transmettre « l’UFM13 par la programmation du festival, est aussi remise en cause par les lecteurs Ah bon ? et Tâlib, dans leurs renvois à l’absence des « grands savants musulmans » pour le premier commentaire et les « pseudo-conférences » dans le second. Tâlib établit aussi une distinction entre « tradition culturelle » et « Islam » et souligne l’ignorance religieuse que relèverait cette confusion des genres.
L’Aïd dans la Cité, une fête à partager entre musulmans et non musulmans ? Il semblerait que la mise en festival de cette fête religieuse ne corresponde pas à la lecture de l’Aïd el-Kébir par tous les musulmans, qu’ils soient observants ou non. La démythification de l’Aïd que souhaite établir l’UFM13 (3e montage), est surtout une réponse au traitement médiatique construit par les journalistes depuis les années 1980 (1er montage), et construit par là même une autre mythologie, celle d’une culture maghrébo-musulmane qui serait partagée par tous les musulmans de France.
L’Aïd el-Kébir a été appréhendé ici comme un relais culturel qui serait vecteur d’une religiosité et renvoie par là-même à la construction d’un nouveau mythe.
En ce sens, l’étude des diverses représentations de l’Aïd el-Kébir véhiculées par les médias audiovisuels permet de voir comment les référents d’une religiosité sont utilisés et relèvent de réalités sociales diverses, en fonction de qui relaye l’information : journaux télévisés, associations islamiques ou associations musulmanes laïques. La prise en compte de ces matériaux issus d’internet, produits par ces trois instances, offre ainsi un hors-champ du terrain, qui permet par contraste, d’éclairer les modes de production des discours et des représentations. En effet, les discours récoltés sur le terrain ethnographique se doivent d’être appréhendés comme étant en permanente élaboration et articulés avec les représentations véhiculées par les médias, car dans ce contexte français leur production est en permanente interaction.