Marie-Laure Boursin

Marie-Laure Boursin

Entre fêtes et festivals : de l’Aïd à la mosquée à l’Aïd dans la cité

ATER à Sciences-Po Aix / Chercheure associée, Institut d’ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative (Idemec), CNRS-AMU.

DOI : https://doi.org/10.34847/nkl.9cfa6k5f

Au départ de ce questionnement sur les pratiques religieuses et leurs relais culturels, j’ai cherché à trouver une fête religieuse où le support audiovisuel serait très présent, produit et véhiculé par les acteurs rencontrés sur mon terrain. Ces supports auraient pu être analysés comme relais, dans leurs productions, utilisations et réappropriations. Il y avait certes l’hitima((Fête religieuse comorienne qui clôture l’apprentissage religieux et qui correspond à la fin de la lecture du Coran chez le jeune adolescent.)), où la vidéo et la photographie viennent sceller un moment particulier dans la vie d’une famille. Ces modes d’enregistrements permettent de conserver le souvenir d’une journée et deviennent ainsi, des relais de la mémoire. Toutefois, si j’ai eu accès à ces visionnages – de façon sporadique, lors de mon terrain de thèse sur l’apprentissage religieux islamique extrascolaire((Ce travail portait sur l’enseignement islamique institutionnel et dans l’environnement familial en contexte français : Marie-Laure BOURSIN, Construction de l’identité islamique : l’apprentissage religieux au sein des institutions religieuses et de la famille, sous la dir. d’Abderrahmane MOUSSAOUI, Thèse de doctorat d’anthropologie, Aix-Marseille Université, 2012, 465 p.)) –, ces documents restaient pour la plupart du temps au fond du placard. Et une fois l’événement passé, ces mêmes documents appartenaient en quelque sorte au souvenir lui-même.

Ils n’étaient sans doute pas de « bons relais culturels » à penser, du moins pas sous la forme dans laquelle j’ai pu les apprécier. Alors, plutôt que d’exploiter des supports récoltés sur le terrain, issus de pratiques religieuses, et qui serviraient de relais culturels, j’ai inversé la question en cherchant un temps de religiosité, qui serait lui-même un relais culturel. J’ai ainsi pensé à l’Aïd el-Kébir, notamment après avoir visionné des archives télévisuelles de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina), couvrant une période d’un demi-siècle. D’une part, il me semblait que cette fête véhiculait des représentations sur les personnes rencontrées sur mon terrain (c’est-à-dire des musulmans revendiquant une affiliation religieuse) en dehors de celui-ci ; et d’autre part, l’Aïd el-Kébir semblait faire l’objet d’un glissement sémantique dans son traitement médiatique. En ce sens, l’Aïd el-Kébir en contexte français pouvait être appréhendé comme le relais culturel d’une pratique religieuse.

En effet, chaque année, l’annonce de l’Aïd el-Kébir occupe une place, même minime, dans les journaux télévisés ; cette fête musulmane est ainsi progressivement entrée dans les foyers français et est l’objet de représentations multiples.

Pour nombre de musulmans en France, l’Aïd el-Kébir est une fête familiale ; pour d’autres, elle est avant tout une fête religieuse marquée par l’accomplissement de prières et du sacrifice d’un mouton. Dans le contexte français, l’Aïd el-Kébir serait-il devenu un relais d’une religiosité et/ou d’une culture musulmane, voire maghrébine ?

Plus précisément, il s’agit de voir à travers l’exemple de l’Aïd el-Kébir, au départ une fête islamique annuelle, comment un événement ou une célébration religieuse prend diverses formes dans la société française et peut être perçu et vécu de manière différente.

Fête et festival : vers une onomasiologie((Terme emprunté à la linguistique : démarche qui consiste à partir de l’idée, du concept, pour en étudier les diverses expressions dans une langue.)) de l’Aïd ?

La fête, dans son sens premier, est un ensemble de réjouissances collectives destinées à commémorer périodiquement un événement. La fête religieuse, précise le dictionnaire, est la « célébration en l’honneur d’une divinité, d’un être, d’une chose vénérés par une religion, ou en commémoration d’un événement marquant de son histoire((Issu du Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi), c’est la version informatique du Trésor de la Langue Française (TLF), Dictionnaire de la langue du XIXe et XXe siècle, publié par le CNRS en seize volumes entre 1971 et 1994. [Consulté le 11 mars 2012] URL : http://www.cnrtl.fr/definition/fêtes.))«. En arabe, le mot « Aïd » signifie fête. Dans la religion islamique((Précisons que l’expression « religion islamique » renvoie à une hétérogénéité des représentations et pratiques sociales. Les fêtes islamiques ne sont pas toutes célébrées selon la même intensité en fonction des lieux et traditions culturelles, elles existent parmi d’autres célébrations, qui ne sont pas nommées « Aïd ».)) il existe plusieurs fêtes, plusieurs Aïd. Il y a par exemple l’Aïd al Maoulid al nabi, la fête de la naissance du Prophète, dit communément Maoulid et les deux fêtes les plus célébrées et les plus connues que sont l’Aïd el-Fitr et l’Aïd el-Adha.

L’Aïd el-Fitr, qui signifie littéralement la « fête de la rupture » (sous-entendu du jeûne), intervient à la fin du mois de ramadan. Lors de l’Aïd el-Fitr, les musulmans observants doivent respecter une des cinq obligations ou piliers de l’islam, celle de verser la zakât, c’est-à-dire l’aumône légale, calculée théoriquement sur l’argent économisé pendant un an, qui s’appelle la zakât al-Mâl((La zakât al-Mâl est l’aumône obligatoire que tout musulman verse annuellement. Elle est calculée sur une épargne minimale, de la valeur du Nissâb (l’équivalent de 85g d’or). Au-delà de ce montant, le musulman doit s’acquitter de la zâkat al-Mâl, soit de 2, 5% du montant total de ses biens.)), mais fixée actuellement et communément sur le territoire français à la somme de 5 euros par personne et correspondant à la zakât el-Fitr((La zakât el-Fitr, est une aumône obligatoire que tout jeûneur chef de famille doit verser pour lui-même et pour chaque membre de sa famille à sa charge, même pour un nouveau-né. Le montant de la zakât est évalué par la Commission théologique de la Grande Mosquée de Paris.)). Cette fête marque la fin d’une autre des obligations, celle du mois de jeûne. L’Aïd el-Fitr, peut être aussi appelée Aïd el-Seghir, littéralement « petite fête », dite en français aussi « Petit Aïd », ou nommée encore « fête des gâteaux » par certaines personnes rencontrées, en raison des nombreuses pâtisseries confectionnées pour l’occasion.

L’Aïd el-Adha, signifie au sens strict la « fête du sacrifice ». Elle commémore le sacrifice qu’Ibrahim (équivalent d’Abraham) était prêt à consentir de son fils Ismaël (Isaac) pour témoigner de sa soumission à Dieu et qui a été remplacé par un mouton par l’intermédiaire de Jibril (l’ange Gabriel)((En ce sens l’Aïd el-Adha correspond donc à la définition de la fête religieuse donnée par le dictionnaire.)). Dans le calendrier musulman cette fête correspond aussi au dernier jour du grand pèlerinage à La Mecque, ḥajj, autre des cinq piliers islamiques. L’Aïd el-Adha est plus connu dans le contexte français sous le nom de l’Aïd el-Kébir, c’est-à-dire le Grand Aïd, par opposition à l’Aïd el-Seghir, le Petit Aïd. Une autre expression française peut désigner cette fête : c’est la « fête du mouton », en raison du sacrifice d’un agneau ou d’un mouton qui est fait par de nombreuses familles à cette occasion((D’autres animaux peuvent être sacrifiés, en fonction des moyens financiers des familles et traditions locales, comme un bouc, un coq ou un canard. Dans le contexte français ce sont majoritairement des moutons qui sont immolés. Cf. Anne-Marie BRISEBARRE, La fête du mouton. Un sacrifice musulman dans l’espace urbain. Paris, CNRS Éditions, 1998.)). Pour cette fête, il est d’usage de verser une autre aumône, appelée sadaqa, qui n’est ni obligatoire ni réglementée en fonction de critères spécifiques. Elle se fait sous forme de dons financiers récoltés à la mosquée à l’issue de la prière communautaire de l’Aïd el-Adha ou sous forme de dons alimentaires (notamment 1/3 du mouton sacrifié par famille) qui est redistribué aux nécessiteux.

Ces deux fêtes, Aïd el-Seghir et Aïd el-Kébir, peuvent être aussi appelées « fête des enfants », car des présents leurs sont offerts à cette occasion, comme des jouets, vêtements, parfums, etc. Certains des enfants interrogés comparent l’Aïd el-Kébir à Noël et le perçoivent comme étant la fête la plus importante du rite islamique. À ce titre, cette fête est présentée :

« […] dans le débat public comme une fête religieuse faisant également et plus largement partie de la culture musulmane, comparable en ce sens aux fêtes de Noël pour la culture catholique »((Gilles FRIGOLI et Christian RINAUDO, « Les usages sociaux de l’histoire de l’immigration : enquête auprès d’un cercle militant », Revue Européenne des Migrations Internationales, n° 25, (1), 2009, p. 152.)).

C’est une fête islamique où les musulmans observants vont à la mosquée pour la prière. Mais au-delà, c’est donc surtout une fête familiale à l’occasion de laquelle un repas est partagé et où les musulmans rendent visite aux voisins et membres de la famille élargie. Il existe ainsi de nombreuses familles qui fêtent l’Aïd el-Kébir, sans forcément aller à la mosquée par référence à une « culture musulmane », dont parlent Gilles Frigoli et Christian Rinaudo.

Dans le même sens, l’Aïd el-Kébir à Marseille, est aussi devenu un « festival ». Il est entendu ici comme une série de manifestations culturelles au cours desquelles sont présentés des spectacles musicaux, de danse, de théâtre, des expositions d’œuvres d’art, des films, des débats, des conférences, etc. En somme, comme diverses représentations programmées autour d’un événement, ici celui de l’Aïd el-Kébir. L’Aïd dans la Cité est un festival marseillais créé en 2003((Depuis sa première édition en 2003, ce festival bénéficie des financements de collectivités comme la Mairie de Marseille, le Conseil Général, le Conseil régional et l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances. À titre comparatif, afin de montrer l’importance de cette manifestation, le budget de 2005 aurait été de 150000 euros (Michel HENRY, « À Marseille, l’Aïd fêté au parc des expositions », Libération (Presse quotidienne), du 21 Janvier, 2005, p. 18.) et 144 000 euros pour 2011. La même année les Eurockéennes affichent un budget total de 5, 4 millions d’euros, le Printemps de Bourges de 4, 4 millions d’euros, Rock en Seine de 5, 2 millions d’euros et le festival d’Avignon de 12 million d’euros. Depuis 2010, le Conseil Régional Provence Alpes Côte d’Azur finance l’Aïd dans la Cité sur des fonds culturels et non plus sociaux (UFM13, « Qui sommes-nous ? », Union des Familles Musulmanes des Bouches du Rhône, 2012).)) par une association loi 1901, celle de l’Union des Familles Musulmanes des Bouches-du-Rhône (UFM13), qui elle-même a été créée en 1996((Agréé par l’union départementale des associations familiales depuis 1998 et reconnue d’intérêt général depuis 2011 sur UFM13, 2012, op. cit.)). Cette dernière se présente comme : « une association laïque et apolitique, qui joue un rôle essentiel de représentation des familles auprès des pouvoirs publics((UFM13, 2012, op. cit.)) ».

Ainsi, l’énoncé « Aïd el-Kébir » en contexte français peut recouvrir diverses expressions et représentations et pourrait être l’objet d’une analyse onomasiologique, dans le sens où il peut signifier une fête, familiale et/ou religieuse, ou même un festival. L’Aïd el-Kébir serait-il une figure du mythe barthésien, vu comme « un système de communication », comme « un message((Roland BARTHES, Mythologies, Paris, Éditions Seuil, coll. « Points Essais», 1970 [1957], p. 211.)) » ? Roland Barthes dans les Mythologies énonce trois niveaux de lecture du mythe, ceux du producteur, du lecteur et du mythologue. Le producteur du mythe « part d’un concept et lui cherche une forme((Op. cit., p. 235.)) ». Barthes prend souvent l’exemple des médias comme étant des producteurs de mythes, car ils sont à l’origine de la déformation du signifiant en y appliquant un symbole. Le lecteur n’étant ni exemple, ni symbole, son accommodation du mythe est dynamique, elle « consomme le mythe selon les fins même de sa structure((Op. cit., p. 235.)) ». En d’autres termes, le lecteur prend le mythe tel quel et n’est pas à l’origine de la signification mythique. Le mythologue, lui, déchiffre le mythe et cherche à comprendre sa déformation. Pour Barthes, c’est le lecteur du mythe qui doit en « révéler sa fonction essentielle((Op. cit., p. 236.)) ». En tentant de me faire « mythologue », je voudrai ici comparer les diverses acceptations de l’Aïd el-Kébir à travers trois montages vidéo.

Le premier traite de l’apparition d’un mythe sur l’Aïd produit par les médias télévisuels et plus particulièrement les actualités françaises.

Le second montage illustre par contraste la vision des lecteurs, au sens barthésien, ceux rencontrés sur mon terrain, c’est-à-dire ceux qui vivent l’Aïd el-Kébir à la mosquée. En effet, au regard de mon terrain auprès de familles musulmanes plutôt observantes, la fête de l’Aïd comme fête familiale est indissociable de production de discours sur le religieux.

Consciente qu’il existe aussi de nombreux individus qui fêtent l’Aïd sans aller à la mosquée, voire sans immoler une bête, je me suis intéressée à l’acceptation de cet événement comme festival à travers l’Aïd dans la Cité.

Au niveau méthodologique, je me dois de préciser le mode de production de ces montages. Ils ont été réalisés à partir d’extraits vidéo trouvés sur internet. Le corpus de départ est plus important((Un corpus de 41 vidéos, dont 25 sont issues de journaux télévisés et 19 des archives de l’Ina.)) que les extraits choisis ici, j’ai donc fait une sélection en fonction des thèmes qui me sont parus les plus pertinents sans démultiplier les exemples. Chaque document est recensé dans la filmographie, avec son auteur et son titre, sa date de production, de mise en ligne ou de diffusion, sa durée ainsi que l’Uniform Resource Locator (URL) consultée. J’ai effectué parfois des coupes dans les plans sélectionnés, mais je n’ai jamais modifié l’ordre chronologique du montage original. Les extraits présentés dans les montages sont séparés par des intertitres précisant la source et j’ai ajouté quelques commentaires écrits. Chaque montage est accompagné dans le texte d’un encadré, présentant les sources par ordre d’apparition et donnant des informations sur la production des documents originaux.

Premier montage : L’Aïd dans les actualités françaises (8 minutes 36 secondes)

Ce premier montage, illustre l’évolution du traitement de l’Aïd el-Kébir dans les médias.

Sources du premier montage

  1. Photos de France Presse des années 1930 trouvées sur Gallica (bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale de France).
  2. Archives de l’Ina qui s’étalent de 1947 à 2001, issues des informations nationales et régionales sur des chaînes publiques. Chaque document est accompagné sur le site de l’Ina d’un commentaire indiquant le contexte, la date de diffusion (informations que l’on retrouve dans la filmographie), la production et le nombre de vues depuis sa mise en ligne. D’après les statistiques présentes sur le site de l’Ina, les vidéos utilisées ici ont été visionnées entre 100 et 1 100 fois. Les documents, dans leur version originale, ne font pas plus de deux minutes, dont je n’ai sélectionnés que quelques extraits à chaque fois.

Source :  Voir filmographie. Par ordre d’apparition : [Gallica, 1932, 1936 ; Ina, 1947, 1960, 1984, 1998, 1995, 2001, 1997]

Tout d’abord on observe une confusion entre Aïd el-Seghir et Aïd el-Kébir, qui est sans doute une erreur commise a posteriori, puisqu’elle est issue des commentaires ajoutés par l’Ina (voir la filmographie) ; les titres mêmes des vidéos relayent toutefois cette confusion [Ina, 1947 ; 1960]. La multiplicité des dénominations des fêtes évoquées en première partie et la méconnaissance des rituels musulmans par les journalistes en sont sans doute la cause. Dans le premier extrait, le commentaire écrit par l’Ina est en contradiction avec la voix off qui précise qu’il s’agit de l’Aïd el-Seghir [1947, 00 :29((Le premier montage n’est fait que d’archives issues de l’Ina. Entre crochet sont indiqués la date, permettant de se référer à la filmographie et le timing correspondant à l’image mentionnée dans le montage.))]. Dans le deuxième, le thé et les gâteaux [1960, 01 :06 à 01 :16] montrent qu’il s’agit bien de la fin du ramadan et non de l’Aïd el-Kébir ; le commentaire écrit dit pourtant « la communauté musulmane française qui fête l’Aïd el-Kébir » [Ina, 1960]. Dans tous les extraits visionnés de l’Ina, aucun avant les années 1980 ne porte en réalité sur l’Aïd el-Kébir en France métropolitaine. En revanche, il en existe plusieurs sur l’Aïd el-Seghir. Peut-on supposer que l’Aïd el-Seghir sur le territoire français était au départ une fête plus relayée par les médias que l’Aïd el-Kébir ? Seul un dépouillement de toutes les archives, et non pas seulement celles mises en ligne, pourrait-y répondre. On peut toutefois relever qu’il existe un contraste entre ces fêtes : s’il y a du partage dans les deux cas, l’une est vue comme « sucrée », l’autre « salée », carnée et de surcroît « sanglante ». Pour cette raison, la première pourrait être perçue comme plus féminine que la seconde, de plus, on dénote une répartition sexuelle des rôles dans les processus culinaires qui ont trait à ces fêtes((Par exemple, ce sont principalement les femmes qui confectionnent les pâtisseries pour l’Aïd el-Seghir et les hommes qui sont en charge du sacrifice pour l’Aïd el-Kébir, de plus si les femmes préparent des plats mijotés à partir de la dépouille sacrificielle, ce sont généralement les hommes qui ont en charge le grillé. Au sujet de la distinction masculin/féminin en fonction de la dichotomie salé/sucré voir Pierre Bourdieu, « À propos de La Domination masculine », Agone, n°28, 2003, p. 73-86.)). Ces représentations, largement reprises par les médias, dénotent d’un glissement du traitement de la fête musulmane de conviviale à sanglante.

Fête du mouton

Ensuite, en ce qui concerne l’Aïd el-Kébir, divers thèmes apparaissent dans ces vidéos. Le premier est le traitement de la fête comme fête du sacrifice où l’immolation du mouton est au cœur de l’information.

Les questions liées aux conditions d’abattage [1984, 02 :57 ; 1995, 05 :19 ; 1998, 05 :55], de distribution avec les boucheries présentes à l’image [1998, 04 :08 ; 2001, 06 :29, 1997, 07 :08], de sécurité, d’hygiène [1995, 05 :05] ainsi que de droits des animaux [1995, 05 :22] sont mises en exergue.

Deux temps sont opposés, celui de la tradition à celui de la modernité, sous-entendue urbaine. Avant on abattait « un mouton chez soi en famille » [1998, 03 :32] ou encore des « abattages clandestins qui se pratiquent souvent dans les appartements » [1995, 05 :05], mais c’est une « tradition qui s’accommode mal de la loi républicaine » [1995, 05 :03]. Le fait d’aller chercher aujourd’hui sa viande « chez le boucher comme tout le monde en France » [1998, 04 :06] est un signe « d’intégration » [1998, 03 :44]. Pourtant le fils de Khadija dit au micro : « tous les ans mes parents ont abattu un mouton et ça ne s’est jamais fait dans un placard » [1998, 05 :55]. Comme le souligne Anne-Marie Brisebarre, la question de l’abattage rituel pour l’Aïd en contexte français dépend grandement des conditions de vie des familles qui souhaitent sacrifier, habitants en HLM en périphérie urbaine ou dans un pavillon avec jardin, en centre-ville, à la campagne, etc., et s’accompagne de changement des pratiques musulmanes((Anne-Marie BRISEBARRE, La fête du mouton. Un sacrifice musulman dans l’espace urbain, Paris, CNRS Éditions, 1998.)). Il ne s’agit évidemment pas de nier que les conditions réglementaires d’abattage (Décret 80-791 du 1er octobre 1980 et 81-606 du 18 mai 1981) ne sont pas toujours respectées, mais d’évoquer le fait qu’une lecture spécifique de l’Aïd comme rituel sacrificiel et comme problème posé à la société se met en place au cours des années 1980-2000, par l’intermédiaire des médias et produit ainsi un mythe. Cette lecture correspond à des « représentations que [d]es non-musulmans se font du sacrifice, […] il s’agit d’un des moments les plus importants de visibilité d’une religion qui […] suscite par là même bien des réticences et prises de positions extrêmes((Op. cit., p. 8.)) ».

Toutes ces questions demeurent d’actualité, comme l’a confirmé le débat autour de la question de l’abattage rituel lors de la campagne présidentielle de 2012((C’est à la suite d’une enquête du magazine télévisuel Envoyé spécial (France 2) sur les abattoirs français (16/02/2012), que la polémique est apparue. Marine Le Pen, en tant que candidate du Front National aux présidentielles, fait référence à plusieurs reprises à ce reportage pour appuyer son idée de la progression de l’islam en France. Ses propos ont ensuite été largement commentés par l’ensemble de la classe politique française. Par exemple, le premier ministre François Fillion avait déclaré au mois de mars 2012 à l’antenne d’Europe 1 : « Les religions devraient réfléchir au maintien de traditions qui n’ont plus grand chose à voir avec l’état aujourd’hui de la science, l’état de la technologie, les problèmes de santé ». Bruno Le Maire, alors ministre de l’agriculture, en réponse à la polémique grandissante fait un point sur l’abattage rituel en France à l’occasion d’une conférence de presse le jeudi 8 mars 2012.)). Au sujet de l’extrait qui met en avant la question de santé publique relative à la fièvre aphteuse [2001, 06 :16], lors de mon terrain en 2000 dans une mosquée de Marseille, une femme pose une question à l’enseignante lors d’un cours de langue arabe : « Est-ce que la vache folle peut être présente dans la viande hallal ? ». Ce à quoi elle répond : « Si la viande est abattue rituellement, c’est-à-dire saignée, les microbes partent » (séance du 29/10/2000). Cette discussion indique que la question de la viande hallal en contexte français préoccupe ces femmes à la mosquée. En effet, en octobre 2000, il y a eu l’affaire Soviba-Carrefour avec laquelle émerge la transmission de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) à l’homme. Lors de l’Aïd de la même année, une suspicion de transmission chez les ovins est apparue, obligeant les abattoirs à ne pas donner la tête, la peau et certains abats comme la panse. Les musulmans eux-mêmes sont donc préoccupés par les conditions d’abattage, non pas comme un problème posé à la société qui relèverait d’une « tradition ancestrale » [1998, 03 :30] d’un autre âge, mais bien par rapport à leur santé.

Dans le montage, le discours que l’on entend n’est pas non plus forcément représentatif. Il est issu d’un micro trottoir devant la Grande mosquée de Paris qui dit en substance que l’Aïd sans mouton, ça n’est pas grave :

« On peut s’en passer de la viande » [2001, 06 :20]

Ou plus loin un boucher dit :

« Ce n’est pas question d’un mouton » [2001, 06 :37].

Par exemple, sur mon terrain en 2000, certaines familles ne comprenaient pas l’interdiction de fournir la peau, cette dernière n’étant pas consommée. Lors des pénuries de moutons en 2001, due à l’épidémie de fièvre aphteuse touchant la Grande Bretagne, d’où nombre de moutons sont importés pour l’Aïd, l’augmentation du prix n’a pas freiné les familles, mais les a obligées à faire un plus grand sacrifice financier. En effet, si le dogme précise que le sacrifice n’est une obligation que pour ceux qui en ont les moyens, ou seulement une sunna((Entendue, ici, comme règle ou pratique.)) vivement recommandée((En effet, en fonction du rite d’appartenance, les savants islamiques divergent sur le fait que le sacrifice de l’Aïd soit une obligation.)), bien des familles modestes n’envisagent pas de faire l’Aïd sans mouton. Notamment, parce que ne pas sacrifier serait une manière de passer dans la catégorie peu enviable des « nécessiteux ». Derrière ces affirmations, c’est aussi l’argument de la foi qui est mis en avant : « l’Aïd ce n’est pas le fait d’égorger un mouton pour manger de la viande » [1997, 07 :45], mais plutôt « c’est la foi, c’est tout, c’est d’être croyant » [2001, 06 :37] et d’une foi exprimée par une fête et non pas seulement un rituel, c’est-à-dire une foi qui ne serait pas forcément fondée sur des interprétations littéralistes. Toutefois, pour de nombreuses personnes, cette année-là, même si l’argument de la foi est valorisé, la fête risquait de ne pas être tout à fait à la hauteur. Plus généralement, ceci est assez révélateur de la manière dont un islam pourrait-on dire français s’installe dans les médias. Ainsi, les questions d’organisation et de célébration du culte islamique deviennent une réalité définitivement ancrée dans la société française et liées désormais aussi à un contexte social et politique((Par exemple un autre extrait de l’Ina, non repris ici, du journal de 20 heures, sur France 2, le 20 janvier 2005 à l’occasion de l’annonce de l’Aïd, mentionne le fait que de nombreuses personnalités se sont retrouvées à la mosquée de Paris pour soutenir Florence Aubenas et son guide interprète, retenus alors en otage [Ina, 2005, 25 :07].)), comme la survenue de l’ESB ou de la fièvre aphteuse.

Fête du partage

Le second élément qui apparaît dans les actualités est celui de l’Aïd comme fête du partage.

De nombreuses archives visionnées mettaient en avant le fait qu’une partie du mouton sacrifié devait être offerte aux pauvres, aux voisins, etc. Dans le montage proposé ici, le retraité de Besançon dit qu’il faut redistribuer la viande aux pauvres [1984, 02 :20]. De même en raison de la crise sanitaire de 2001, le boucher dit que l’argent économisé pour acheter le mouton « peut [en remplacement] être donné aux pauvres » [2001, 06 :44]. Enfin, dans le reportage sur l’association « Une Chorba pour tous((Association parisienne, créée en 1992. Cinq vidéos mises en ligne sur le site de l’Ina parlent de l’association « Une Chorba pour tous ».)) », une femme explique qu’avec la viande « on fait des dons aux pauvres malheureux » [1997, 08 :07] et le représentant de l’association qu’il « donne de la viande à ceux qui n’ont pas » [1997, 07 :54]. Ceci est une représentation forte liée à l’Aïd el-Kébir que l’on retrouvera dans le dernier montage.

Le traitement de l’Aïd el-Kébir en France par les journaux télévisés fait apparaître un glissement sémantique et un changement opéré dans la mise en image de la bête. Dans les premiers extraits [Gallica, 1932, 1936 ; Ina 1984] l’acte de sacrifice est présent avec différentes étapes du traitement du corps de l’animal (soufflage, dépouillement et dépeçage [Ina, 1984, 02 :26 à 02 :55]), ensuite la bête vivante est encore montrée [Ina, 1995, 04 :45], mais l’acte éludé (les moutons sont posés vivants sur un support [1995, 05 :08], l’image montre un couteau [05 :14], ellipse, puis apparaît alors un cadavre sans peau [05 :18]). Au fil des années, la bête se transforme en carcasse, en viande prête à consommer [Ina, 1998, 04 :27 ; 1997, 07 :09]. Dans de nombreux extraits, la boucherie tient une place importante en étant soit évoquée, soit montrée. Un glissement est ainsi opéré du rite vers des questions sanitaires liées à l’abattage dans le contexte français. L’Aïd el-Kébir comme symbole de la soumission à Dieu (souvent rappelé au début du reportage) et comme étant une fête du partage apparaissent juste en filigrane. De même, l’occurrence « fête du mouton », employée à de nombreuses reprises par les journalistes, comme par les personnes interrogées, est assez symptomatique d’une époque [Ina 1984, 01 :24 et 01 :47 ; 1998, 04 :11, 1997, 07 :59].

Deuxième montage : L’Aïd à la mosquée, une fête religieuse (06 minutes 13)

Avant de procéder à la lecture de l’Aïd el-Kébir, par les lecteurs eux-mêmes, il convient de revenir sur le déroulement de la fête.

Le jour de l’Aïd el-Kébir constitue un jour de fête dans la tradition islamique qui intervient le 10 du mois de dhou al-hijja, c’est-à-dire le dernier mois du calendrier musulman. Le matin pour la prière du fajr, c’est-à-dire une demi-heure après le lever du soleil, après s’être purifiés par des ablutions, et pour certains après avoir revêtu leurs plus beaux vêtements et mis du parfum, les membres des familles obervantes se rendent à la mosquée. On commence par y glorifier Allah par des takbir :

Subhana Allahi wa el Hamdoulilahi wa la illaha illal Allahou, Allahou Akbar, Allaou Akbar, Allahou Akbar wa lillahi al-hamd.

(Gloire à Dieu, la louange appartient à Dieu, il n’y a pas d’autres divinités à part Dieu et Dieu est le plus grand, Dieu est le plus grand, Dieu est le plus grand, Dieu est le plus grand et à Lui seul Lui revient la Louange).

Ensuite se déroule la prière rituelle, ṣalât, constituée de deux unités, rakaʿât, comme toutes les prières du matin. Les rakaʿât sont formées d’une série de postures : station debout, inclinaison, redressement, prosternation, redressement en position assise, prosternation et redressement. Six takbir sont effectués à la fin de la première rakaʿât et cinq à la fin de la seconde.

Puis, suit la khoutba de l’imam, c’est-à-dire son prêche, en général dit en langue arabe et française, dans lequel il rappelle la signification religieuse, spirituelle de l’Aïd et à la fin duquel il procède à des takbir. Les aumônes, sadaqa, peuvent être récoltées sous forme de quête ou déposée dans une boîte à la sortie de l’office, parfois tendues directement à l’imam. Il arrive que l’argent récolté, normalement destiné aux pauvres, soit prévu pour un projet particulier comme la construction d’une mosquée. Certaines familles font sadaqa pour l’Aïd el-Kébir sous forme de dons alimentaires soit par l’intermédiaire de l’abattoir, soit directement dans leur entourage.

Quand l’office s’achève, les fidèles se saluent, s’échangent des vœux pour se souhaiter bon Aïd : « Aïd Moubarak ». Puis ils partent généralement chercher le mouton à l’abattoir ou chez le boucher. Rentrés chez eux, ils préparent le repas, dans l’après-midi ils rendent visite aux voisins et à la famille.

Sources du deuxième montage

  1. Archive de l’Ina de 2008, issue du 20 heures de France 2, à l’occasion de l’Aïd el-Kébir. Les journalistes Nabila Tabouri et David Fossard ont réalisé un reportage sur la nouvelle mosquée de Créteil.
  2. Vidéo du journaliste Olivier Enogo, d’origine camerounaise vivant à Paris, qui vend quelques-uns de ses reportages à la chaîne Vox Africa. Cette dernière, créée en 2008, se définit comme une « télévision panafricaine, bilingue et indépendante((Voir VOXAFRICA, « Pack info média », Voxafrica.com (en ligne), 2011.))». Elle est diffusée en France et en Afrique sur le câble, satellite et internet, le siège social se situant à Londres. Il s’agit d’un document réalisé par Olivier Enogo pour les informations de la chaîne lors de l’Aïd 2010, à Chatillon (hauts de Seine), dans un gymnase.
  3. Images de l’Agence France-Presse (AFP) prises le 6 novembre 2011 au Parc Chanot à Marseille. Le document est présenté dans sa version originale, j’ai toutefois ajouté des commentaires écrits.
  4. Images du même lieu à la même date, (Parc Chanot à Marseille pour l’Aïd 2011), prises pour le compte d’un site d’information marseillais : « Le meilleur de Marseille» créé en août 2011. Ce site a été fondé par l’ex directeur général du quotidien La Provence, Didier Pillet et est rattaché à la société Olympique Éditions. La ligne éditoriale s’affiche comme : « De Marseille vous savez tout du pire, donc nous ne vous en parlons pas ici. En revanche, ce site s’attache à en décrire le meilleur, ce continent négligé((Voir LEMEILLEURDEMARSEILLE, « Marseille en vrai », lemeilleurdemarseille.fr (en ligne), 2011.))».
  5. Reportage réalisé à Aix-en-Provence, dans la salle Pierre Coulange en 2007, par l’association Anonymal, qui se situe dans le quartier du Jas de Bouffan. Sur son site elle était décrite comme : »Une télé participative de proximité qui sort du local grâce à son exigence ! Une télé qui se fabrique au Jas de Bouffan dans l’espace public par et pour des SpectActeurs glocaux((Le site Anonymal n’était plus accessible fin 2012 (URL : http://www.anonymal.org), il possède actuellement une autre URL avec une nouvelle description (URL : http://www.anonymal.tv/). Voir ADMIN-AIXENINFO, « Anonymal TV : Web TV associative », aixeninfo.fr (en ligne), 2011.))». Créée en 1999 par Djamal Achour, cette association rassemble en majorité des anciens élèves de l’école des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence, elle développe des actions de terrain où se retrouvent professionnels de l’image et habitants des quartiers.

Source :  Voir filmographie. Par ordre d’apparition : [Ina, 2008 ; Enogo, 2010 ; AFP, 2011 ; Le Meilleur de Marseille, 2011 ; Anonymal, 2007]

Dans ce montage, plusieurs éléments de la fête rituelle apparaissent :

  • le takbir en arrière-plan sonore du journal télévisé de France 2, au moment où les personnes font la queue pour entrer dans la mosquée [Ina, 2008, 00 :18 à 00 :24((Entre crochets sont indiqués l’auteur et la date, permettant de se référer à la filmographie et le timing correspondant à l’image mentionnée dans le montage.))] et au parc Chanot [Le Meilleur de Marseille, 2011, 03 :29, 04 :49],
  • la prière rituelle, ṣalât [Ina, 2008, 00 :30 ; AFP, 2011, 03 :05 et Anonymal, 2007, 04 :58 et 05 :34],
  • la khutba [Ina, 2008, 00 :28 ; AFP, 2011, 02 :55 et Anonymal, 2007, 05 :24],
  • et l’aumône, sadaqa [Enogo, 2010, 00 :47 et 02 :32 et AFP, 2011, 03 :13].

Les images montrent aussi les accolades et salutations (deux hommes en arrière-plan gauche [Enogo, 2010, 01 :00] puis à 01 :51 ; 02 :11 et 02 :34) et un panneau indique « Aïd Moubarek. Bonne Fête de l’Aïd » [AFP, 2011, 02 :45]. On peut souligner que sur les quatre lieux filmés, seul un est une mosquée [Ina, 2008] et que le montage d’Anonymal n’est pas chronologique, puisque le salut final intervient au début [2007, 05 :08], alors que suivent d’autres images de la prière. L’usage de la terminologie par les médias change, on parle ici de l’Aïd el-Kébir ou de l’Aïd el-Adha [Ina, 2008, 00 :05, 00 :15 ; Enogo, 2010, 00 :41 ; AFP, 2011, 02 :49 ; Anonymal, 2007, 05 :05].

Cette fête, comme fête religieuse a une importance signifiée dans le dogme, comme moment de rencontre et de partage de la communauté, rappelé par un fidèle dans le montage [Enogo, 2010, 01 :38 à 01 :50]. Ainsi, certains livres ou guides de pratiques religieuses, d’obédience sunnite : malékite et chaféite, expliquent que le :

« Prophète a recommandé aux femmes qu’elles soient mariées ou non, jeunes ou vieilles de sortir pour la prière de l’Aïd el-Adha, y compris celles qui ont leur règles, mais ces dernières se contenteront de s’associer aux invocations et aux glorifications((Mustapha KHAFAGUE, Comment faire la prière ? Filles avec photos et Comment faire la prière ? Garçons avec photos, Paris, Essalam, 2000a [1997], p. 54.)) ».

Cela signifie que les femmes en menstruation, habituellement exclues du rite à la mosquée, peuvent être présentes et pratiquer les takbir, même si elles ne doivent pas participer activement à la ṣalât((Précisons toutefois que certains courants religieux interdisent l’accès à la mosquée aux femmes en menstruation même pour les fêtes de l’Aïd.)). Cela a été évoqué dans le reportage de Chatillon, par l’imam quand il explique que les femmes et les hommes sont réunis à cette occasion : « normalement dans le jour de l’Aïd, même les femmes sont appelées à venir » [Enogo, 2010, 02 :05]. Cette règle marque l’exceptionnalité de cette célébration en opposition avec le temps ordinaire.

Cette représentation de l’Aïd el-Kébir comme moment annuel fort de la vie religieuse se retrouve dans le discours de certaines personnes interrogées. En dissociant l’Aïd du sacrifice du mouton, elles souhaitent mettre en avant la signification spirituelle de cette fête. Yamina 24 ans, d’origine comorienne, explique :

« Mes parents ils pratiquent l’Aïd el-Kébir, le sacrifice du mouton, parce que ça se fait le sacrifice du mouton, mais sans penser au symbole ; alors que moi je préfère ne pas sacrifier le mouton et penser au symbole que représente l’Aïd, celui du sacrifice de la personne. Le sacrifice du mouton, c’est que de la tradition, ils le font parce qu’ils sont habitués, mais l’Aïd c’est plus que ça. » (Entretien, Marseille, 2001)

Halima, 23 ans, d’origine algérienne indique aussi :

« Là, cette année, mon papa a ramené deux canards à la maison, ça ne m’a pas plu, quoi. Je suis même tombée dans les pommes, je sais pas, moi, ça me… dégoûte. S’ils veulent sacrifier des moutons, ils sacrifient ; mais je ne sais pas trop si je le ferai plus tard. Et pourtant, je suis musulmane… mais, je ne sais pas, ça me gêne beaucoup. Je ne pense pas y toucher. Si mon mari veut sacrifier, il sacrifiera ; mais moi, je ne le ferai pas. Ce qui m’a marqué moi surtout pour l’Aïd, c’est les petites images qu’on avait à la maison, c’était l’ange Gabriel qui amenait le mouton, et Abraham avait le petit couteau, enfin le gros couteau pour… égorger son fils, et ma mère m’expliquait par rapport à ces petites photos qu’on avait à la maison, qu’Abraham il aimait tellement Dieu qu’il était prêt à tuer son fils pour lui. Pour moi, c’est ça l’Aïd. » (Entretien, Marseille, 2001).

Dans ces deux exemples, la notion de sacrifice comme immolation d’une bête est discutée. Il s’agit pour ces jeunes femmes de repenser la notion de sacrifice dans un sens plus large, celui du « sacrifice de la personne » et de (re)placer Dieu au cœur de la commémoration. L’expression « fête du mouton » ne fait donc pas sens ici, pour cette lecture de l’Aïd par ces jeunes femmes, mais bien plus celle de Aïd el-Adha, comme fête du sacrifice.

L’Aïd est aussi une fête dans le sens où elle marque une pause dans le temps ordinaire avec toutes les festivités et joies qu’elle suppose. Sayed 22 ans, d’origine comorienne dit à ce sujet :

« Les fêtes de l’Aïd, c’est le jour J pour les enfants aux Comores, parce que le jour de l’Aïd el-Adha chez nous franchement c’est une date fatidique. Parce que y a deux choses : primo, c’est le fait qu’on va fêter l’Aïd, mais ce qui est primordial dans la mémoire des comoriens ce n’est pas ça, ce sont des jours où on aura l’occasion d’avoir des vêtements neufs. Donc, tu vois chez nous, c’est pas de l’entraide, on est dans une famille très pauvre. Ce jour-là, c’est le jour où franchement on a des vêtements neufs pour aller dans la mosquée. Nous on est là donc en train de regarder comment les autres sont habillés, tu vois, donc c’est un jeu. […] Je me rappelle à cette époque-là, j’avais six, sept ans, je voyais les gamins […] on disait : “Oh, ton vêtement il est beau !” Donc voilà franchement un gamin qui n’aime pas aller à l’Aïd, ça serait malheureux ! Même la famille la plus pauvre, elle est censée économiser pour lui acheter quelque chose. » (Entretien, Marseille, 2000)

Les enfants sont très présents dans les images, ils accompagnent leur mère ou leur père. Au sujet des tenues par exemple, dans le premier montage présenté, on peut voir au moment de l’abattage, un enfant habillé en costume avec un nœud papillon [Ina, 1995, 05 :30], dans ce montage-ci, un gros plan montre une femme avec un voile de satin [AFP, 2011, 03 :10]. L’Aïd est donc aussi une fête familiale, où les réjouissances collectives ont leur importance, c’est-à-dire une fête dans le sens premier de la définition donnée plus haut.

Troisième montage : L’Aïd dans la Cité. Le temps des festivités (7 minutes 01)

Dans la première édition de l’ouvrage Yearbook of Muslims in Europe, concernant la France, et à la section « Major Cultural Events » (grands événements culturels), deux événements sont retenus : celui de la Rencontre annuelle des musulmans de France – organisée par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) au salon du Bourget à Paris (visité par plus de 115 000 personnes) – et l’Aïd dans la Cité à Marseille(([34] Dans la seconde édition de cet annuaire sur la situation des musulmans en Europe, à la mention « l’Aïd dans la Cité », est précisé que ce festival organise des « concerts, expositions, conférences, pièces de théâtre et autres événements artistiques et culturels » (2010, p. 201). Dans la troisième édition, Anne-Laure Zwilling ajoute aux deux événements précités, le « Big Ramadan », (Grand Ramdam), présentée comme une initiative du ministère de la Culture et de la Communication (en partenariat avec la Villette et la Cité de la Musique) et la réunion annuelle de la confrérie Tidjaniya, où des musulmans d’origine sénégalaise se réunissent à Mantes-la-Jolie, pour y voir leur cheikh (2011, p. 218). Dans la quatrième et dernière édition de 2012, l’article « France » est écrit par Franck Frégosi, la mention de « l’Aïd dans la Cité » disparaît.)). Ce festival est présenté comme étant organisé par la « communauté musulmane((Anne-Laure ZWILLING, « France », dans Jørgen, S. NIELSEN, Samim AKGONUL et Ahmet ALIBASIC, dirs. Yearbook of Muslims in Europe, Leiden, Brill Academic Publishers, 2009, p. 139.)) ».

Sources du troisième montage

  1. Journal télévisé de TF1 de 2009, issu du 20 heures, à l’occasion de l’Aïd à Marseille.
  2. Le deuxième extrait est produit par LCM une chaîne TV SUD, chaîne télévisuelle marseillaise généraliste créée en 2005. C’est une chaîne française, locale et privée ; elle est diffusée dans les Bouches-du-Rhône, notamment dans l’agglomération marseillaise et aixoise, principalement sur le réseau TNT. Le reportage a été diffusé en 2010, pour la promotion du festival l’Aïd dans la Cité, c’est une interview de la directrice de l’UFM13 : Nasséra Benmarnia.
  3. Trois vidéos de Youtube, qui ont moins de 300 vues :

– Interview de Nouredine Hagoug, mari ou compagnon((Sur le site Histoires singulières (publication électronique de la Cité nationale de l’Histoire de l’immigration) au portrait-entretien consacré à Nouredine Hagoug, il est indiqué qu’il s’est marié avec Nasséra Benmarnia en 1987, voir <http://portraits.histoire-immigration.fr/>. Dans une interview de Nasséra Benmarnia accordée à Damien Isoard le 06/12/2011, pour le site News of Marseille, à la remarque « vous dirigez l’UFM et c’est votre mari qui la préside, c’est ça ? », elle répond : « non, c’est mon compagnon dans la vie, qui a présidé conformément à nos statuts pendant trois ans, l’union des familles musulmanes, c’est-à-dire de 2008 à 2011. » voir : <http://www.newsofmarseille.com/union-des-familles-musulmane-proche-du-scandale/  [de 00 :05 à 00 :25]>.)) de Nasséra Benmarnia, président de l’UFM13 de 2008 à 2011((Depuis 2011, la présidente de l’association est Malika Bouzenoune.)), lors de la Fête consacrée à l’Aïd el-Kébir, devant le siège de l’association à Marseille. Cette vidéo a été prise le samedi 6 novembre 2010 par un internaute qui a pour pseudonyme : Philippedemarseille.

– Danses traditionnelles d’Algérie lors d’un concert pour l’Aïd dans la Cité à l’Espace Julien, salle de concert à Marseille, le mercredi 25 Novembre 2009. Ce spectacle a été monté en partenariat avec la Maison de la culture de Tizi Ouzou et a reçu le soutien du service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France à Alger.

– Intérieur du siège de l’association UFM13, en 2010. La vidéo a été filmée et mise en ligne par un internaute, membre de l’association, dont le pseudonyme est moujahid13.

Source :  Voir filmographie. Par ordre d’apparition : (TF1, 2009 ; LCM, 2010 ; Philippedemarseille, 2011 ; Espace Julien, 2009 ; moujahid13, 2010)

Pour rappel, l’association UFM13 aurait créé en 2003((UFM13, « Qui sommes-nous ? », Union des Familles Musulmanes des Bouches du Rhône (en ligne), 2012.)) l’Aïd dans la Cité, une fête à partager en, mais l’événement ne commence à avoir d’occurrence sur internet qu’à partir de 2006, comme étant la seconde édition((« En 2005, elle [Nasséra Benmarnia] a donc lancé l’idée, longuement mûrie au sein de l’Union des familles musulmanes (UFM13) qu’elle a fondée en 1996, d’organiser à Marseille un festival – “L’Aïd dans la Cité” – qui dise “autre chose” de l’Aïd-El-Kébir ». Voir Martine DE SAUTO, « À Marseille, “L’Aïd dans la Cité” donne sens à la grande fête de l’islam », La croix (en ligne), 2008.)), l’édition de 2005 étant toutefois mentionnée((Corinne BOYER, « Faire partager la fête de l’Aïd aux non-musulmans », La croix (en ligne), 2006 et Christophe DEROUBAIX, « À Marseille, l’Aïd entre dans la cité », L’Humanité (en ligne), 10 janvier 2006.)). Sur le site même de l’association, l’archive du programme le plus ancien date de 2009. L’historique de ce festival n’est donc pas facile à reconstituer sur la toile, d’autant que les informations se contredisent. Le festival dure entre quatre et neuf jours selon les éditions, et s’organise autour d’un thème annuel((Pour les dernières éditions, 2012 : « Le Maghreb au fil des mots », 2011 « Hommage à Mohamed Bouazizi, martyr du printemps arabe », 2010 « L’éloge de l’étranger », 2009 « L’Algérie et la Turquie ».)) décliné en exposition (photographique, picturale ou autour de la bande dessinée), en conférence-débat, en concert, en spectacle de danse, en projection de films, en activités en grande majorité payantes. Un deuxième volet accompagne le festival, celui des ateliers proposés au public (calligraphie, cuisine, danse, etc.), d’un thé dansant destiné aux anciens et d’une journée gratuite particulière « La grande fête de la famille et du partage » organisée généralement au Dôme de Marseille et qui clôture le festival.

Pour l’édition de 2011, 20000 personnes auraient participé au festival. Selon sa directrice, Nasséra Benmarnia, cette initiative est partie du constat que l’Aïd el-Kébir :

« […] est une fête, qui comme Noël, est célébrée aussi par ceux qui ne sont pas pratiquants. C’est la fête la plus importante pour les musulmans, et rien n’était fait pour les aider à la célébrer ! On explique des choses aux enfants, il y a un aspect important de transmission de la culture qui se passe à cette occasion((Nadia KHOURI-DAGHER, « Nacéra Benmarnia : Faire reconnaître les cultures du quotidien des Maghrébins de France », BabelMed (en ligne), 2007.)). »

L’adjectif musulman est ici un référent culturel, qui n’englobe pas forcément d’aspect religieux. C’est précisément dans cette volonté que le festival est présenté dans les médias et sur le site de l’association comme une « grande kermesse laïque ». Puis, dans cet entretien qu’elle accorde à BabelMed((Magazine on-line des cultures méditerranéennes, BabelMed est une organisation à but non lucratif fondée à Rome en 2001.)), elle poursuit sur le festival l’Aïd dans la Cité, une fête à partager :

« C’est, comme Noël, la fête de la famille, et la fête du partage. Dans la symbolique, le mouton est divisé en trois parts : une pour la famille, une pour les démunis, une pour les autres. Et cet esprit de fête était totalement occulté. Nous avons proposé le projet d’un festival qui inclut tous les habitants de la ville : parce que dans le partage, “les autres”, ça veut dire les non-musulmans. Quand j’étais petite, dans notre famille nous allions, pour l’Aïd, offrir une épaule d’agneau à nos voisins espagnols ou portugais qui étaient pauvres. Et puis, il y a une dimension culturelle très forte dans cette fête : par exemple, des plats spéciaux sont préparés pour l’occasion, la panse farcie, ou la tchicha en Algérie, avec les pieds et la tête. Or le patrimoine culinaire, c’est du patrimoine culturel((Op cit.)) ! »

La dimension de partage est très fortement valorisée dans la dénomination même du festival comme « fête du partage », et en rappel au mouton qui doit être partagé :

« ce mouton doit être une offrande, on doit le partager avec les pauvres, la famille. C’est un mouton de partage » [TF1, 2009, 00 :35].

C’est un festival qui s’adresse à tous, musulmans et non musulmans et qui se doit d’être

« ouvert au maximum aux autres, de partager notre fête » [Philippedemarseille, 2011, 04 :22],

c’est-à-dire

« partagé avec l’ensemble de la population marseillaise » [LCM, 2010, 01 :51], car c’est une « fête citoyenne » [TF1, 2009, 01 :21].

Au-delà de la dimension de partage, il y a la volonté de se démarquer des clichés véhiculés sur l’Aïd el-Kébir : « […] c’était “les agneaux qu’on égorge”, “le mouton qu’on tue dans sa baignoire”. Nous, on voulait sortir de ces clichés, et donner toute sa place à cette fête, qui est la plus importante dans la culture musulmane((Op cit.))«. Ou encore dans le montage : « c’est le mouton égorgé, un barbu pas très sympathique » [Philippedemarseille, 2011, 04 :41]. L’Aïd dans la Cité, une fête à partager a donc pour vocation de déconstruire le mythe médiatique.

En effet, selon la volonté de sa présidente, ce festival veut se dissocier de l’Aïd comme fête religieuse, en valorisant une culture musulmane, mais en fait surtout maghrébine, au sens large (Zahia Ziouani, chef d’orchestre née à Paris de parents algériens est présentée comme « d’origine maghrébine » [LCM, 2010, 03 :10]). En effet, il a pour but de « valoriser la culture arabe, [d]es gens issus de l’immigration qui travaillent dans la culture » [LCM, 2010, 03 :55], on la voit avec le groupe Méditerranée, au siège de l’association qui joue de la musique chaabi [moujahid13, 2010, 04 :22], avec le ballet Les étoiles de Mouloud à l’Espace Julien qui présente des danses algéroises, du chaoui, du allaoui, du tindi, etc. [Espace Julien, 2009, 5 :51 à 07 :00]. La musique, la calligraphie [LCM, 2010, 03 :15], les débats et les films [LCM, 2010, 03 :48] sont des éléments culturels véhiculés et transmis dans ce festival, mais il y a aussi le henné, les danses orientales [TF1, 2009, 01 :31], la cuisine [LCM, 2010, 03 :21 à 03 :42], etc. où le référent maghrébin est le plus présent.

Les personnes rencontrées sur le terrain, qu’elles soient d’origine comorienne ou maghrébine, ne m’ont jamais mentionné ce festival, en revanche certaines ont fait des allusions péjoratives aux Nuits du Ramadan, à Aix-en-Provence et à Marseille, comme concerts organisés à la fin du ramadan, où « l’alcool coule à flot » et « le raï remplace les invocations d’Allah ». Ce sont aussi des critiques que l’on trouve sur Saphirnews, site d’information pour les musulmans de France et d’Europe, créé en 2002, quand le journaliste Antoine Dreyfus poste un article le 3 novembre 2010 sur le festival l’Aïd dans la Cité, qui est commenté par deux internautes : Ah bon ? et Tâlib :

« C’est quoi cette nouvelle mode de culture musulmane ? Du thé en abondance, halawiyet et machroubet((Noms de pâtisseries et boissons.)) ?

De grâce, stop à cette image, produit de la colonisation, montrant un arabe servant du thé !

Où sont les œuvres des grands savants musulmans, notamment de l’Andalousie qui ont sorti l’Europe des ténèbres du Moyen-Âge ? Plus que jamais, l’Islam est attaqué de toutes parts, n’est-ce pas le moment de les mettre en lumière ? »
[Posté par Ah bon ? le 04/11/2010 à 00 :03((Antoine DREYFUS, « L’Aïd dans la cité célèbre la diversité marseillaise », www.saphirnews.com (en ligne), 2010.))]

Puis Tâlib, ajoute :

« As’salamoualaykoum,

Pour appuyer le commentaire de “Ah bon ?”, ce genre de pratique traditionnelle d’une compréhension erronée des enseignements de l’Islam, est le produit voulu des anciens maîtres et colonisateurs. La majorité des “beur(rette)s” se prenant parfois pour des arabes, parfois pour des françai(se)s, mais voulant surtout et tellement ressembler aux non-musulman(e)s pratiquant(e)s des mœurs occidentales perverses (sous-entendant que certaines mœurs de vie occidentale ne le sont pas), ce genre de “beur(rette)s” ne savent plus réellement qui ils(elles) sont.

Ils(elles) mélangent leurs traditions culturelles en prétextant que cela fait partie de l’Islam, alors que ce n’est que le résultat de leurs mauvaises compréhensions des enseignements de l’Islam, basées sur leurs passions et leurs ignorances. Preuve en est, cette main de fatma sur l’affiche annonçant de la musique et autres pseudo-conférences : http://www.ufm13.org

Pour leur instruction islamique, la main de fatma n’a rien à voir avec l’Islam, et c’est un objet de chîrk (associationnisme).

Que les organisat(rices)eurs et concerné(e)s craignent ALLAH et se repentent au plus vite, incha’ ALLAH.

Was’salamoualaykoum. » [Posté par Tâlib le 09/11/2010 à 17 :04((Op. cit.))]

Ces commentaires critiquent justement cette « culture maghrébo-musulmane », figée autour de symboles comme le thé à la menthe, les pâtisseries orientales ou la Khamsa. Pour ces deux internautes, devenus lecteurs, les organisateurs de ce festival sont aussi des producteurs de mythe, selon l’analyse barthésienne, qui relaieraient la déformation de sens établie par les colonisateurs eux-mêmes. La notion de culture et la dimension culturelle, que souhaite « transmettre((En référence au premier extrait de l’interview de Nasséra Benmarnia cité plus haut : Nadia KHOURI-DAGHER, « Nacéra Benmarnia : Faire reconnaître les cultures du quotidien des Maghrébins de France », BabelMed (en ligne), 2007.)) « l’UFM13 par la programmation du festival, est aussi remise en cause par les lecteurs Ah bon ? et Tâlib, dans leurs renvois à l’absence des « grands savants musulmans » pour le premier commentaire et les « pseudo-conférences » dans le second. Tâlib établit aussi une distinction entre « tradition culturelle » et « Islam » et souligne l’ignorance religieuse que relèverait cette confusion des genres.

L’Aïd dans la Cité, une fête à partager entre musulmans et non musulmans ? Il semblerait que la mise en festival de cette fête religieuse ne corresponde pas à la lecture de l’Aïd el-Kébir par tous les musulmans, qu’ils soient observants ou non. La démythification de l’Aïd que souhaite établir l’UFM13 (3e montage), est surtout une réponse au traitement médiatique construit par les journalistes depuis les années 1980 (1er montage), et construit par là même une autre mythologie, celle d’une culture maghrébo-musulmane qui serait partagée par tous les musulmans de France.

L’Aïd el-Kébir a été appréhendé ici comme un relais culturel qui serait vecteur d’une religiosité et renvoie par là-même à la construction d’un nouveau mythe.

En ce sens, l’étude des diverses représentations de l’Aïd el-Kébir véhiculées par les médias audiovisuels permet de voir comment les référents d’une religiosité sont utilisés et relèvent de réalités sociales diverses, en fonction de qui relaye l’information : journaux télévisés, associations islamiques ou associations musulmanes laïques. La prise en compte de ces matériaux issus d’internet, produits par ces trois instances, offre ainsi un hors-champ du terrain, qui permet par contraste, d’éclairer les modes de production des discours et des représentations. En effet, les discours récoltés sur le terrain ethnographique se doivent d’être appréhendés comme étant en permanente élaboration et articulés avec les représentations véhiculées par les médias, car dans ce contexte français leur production est en permanente interaction.

Bibliographie

BARTHES Roland, Mythologies, Paris, Éditions Seuil, coll. « Points Essais », 1970 [1957].

Bourdieu Pierre, « À propos de La Domination masculine », Agone, n°28, 2003, p. 73-86.

BOURSIN Marie-Laure, Construction de l’identité islamique : l’apprentissage religieux au sein des institutions religieuses et de la famille. Sous la dir. d’Abderrahmane MOUSSAOUI, Thèse de doctorat d’anthropologie, Aix-Marseille Université, 2012, 465 p.

BRISEBARRE Anne-Marie, La fête du mouton. Un sacrifice musulman dans l’espace urbain. Paris, CNRS Éditions, 1998.

FRIGOLI Gilles, CRINAUDO hristian, « Les usages sociaux de l’histoire de l’immigration : enquête auprès d’un cercle militant », Revue Européenne des Migrations Internationales, n° 25, (1), 2009, p. 137-161.

KHAFAGUE Mustapha, Comment faire la prière ? Filles avec photos. Paris, Essalam, 2000a [1997], Ouvrage religieux.

KHAFAGUE Mustapha, Comment faire la prière ? Garçons avec photos. Paris, Essalam, 2000b [1997], Ouvrage religieux.

ZWILLING Anne-Laure, « France ». Dans Jørgen, S. NIELSEN, Samim AKGONUL et Ahmet ALIBASIC, dirs. Yearbook of Muslims in Europe. Leiden, Brill Academic Publishers, 2009, p. 127-139.

Sources électroniques

 

Filmographie et iconographie

  • AFP, Agence France-Presse. 2011. Marseille : prière des musulmans pour l’Aïd al-Adha, mis en ligne le 06/11/2011 – durée : 00min34s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : <http://www.dailymotion.com/video/xm68rc_marseille-priere-des-musulmans-pour-l-aid-al-adha_news#.UO1_1o4f8dg >
  • ANONYMAL, (association). 2007. L’Aïd El-Kebir à Aix-en-Provence : entre promesse et réalité, mis en ligne le 18/06/2009 – durée : 04min20s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : <http://www.dailymotion.com/video/x9m7v6_an-nymal-l-aid-el-kebir-aix-en-prov_news#.UO2CY44f8dg>
  • ENOGO, Olivier (journaliste). 2010. Fête du sacrifice : Aïd al Adha ou Aïd el Kebir, Châtillon (Hauts-de-Seine), diffusé sur la chaîne Vox Africa en 2010 – durée : 02min30s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.dailymotion.com/video/xg2a39_fete-du-sacrifice-aid-al-adha-ou-aid-el-kebir_lifestyle?start=2
  • ESPACE JULIEN, (salle de concert). 2009. L’Aïd dans la cité, mis en ligne le 01/02/2010 – durée : 03min04s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL :  http://www.youtube.com/watch?v=WbZiULKJlVA
  • GALLICA, Photo de France presse. 1932. Les fêtes de l’Aïd El Kebir à la mosquée de Paris : le sacrifice des moutons, mis en ligne sur Gallica (bibliothèque numérique de la BNF) le 11/04/2011. (en ligne). [Consulté le 10 janvier 2013]. URL : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9051763x/f1.highres
  • GALLICA, Photo de l’Agence Meurisse. 1936. Mosquée de Paris : fête de l’Aid el Kebir : sacrifice du mouton, mis en ligne sur Gallica (bibliothèque numérique de la BNF) le 11/04/2011. (en ligne). [Consulté le 10 janvier 2013]. URL : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9028005d/f1.highres
  • INA, Les Actualités Françaises. 1947. Vincent Auriol à la mosquée pour l’Aïd al Kabir, diffusé le 28/08/1947 – durée : 27s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.ina.fr/video/AFE85002680/vincent-auriol-a-la-mosquee-pour-l-aid-el-kabir.fr.html
    Commentaire et description de l’auteur : Le président Vincent Auriol à la mosquée pour les fêtes de l’Aïd el Kabir : commentaire sur images factuelles.
  • INA, Journal télévisé nuit. 1960. La fin du ramadan, diffusé le 28/03/1960 – durée : 01min38s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/CAF97502562/la-fin-du-ramadan.fr.html
    Commentaire et description de l’auteur : Fin du Ramadan à la mosquée de Paris pour la communauté musulmane française qui fête l’Aïd el Kébir.
  • INA, Journal télévisé FR3 Franche Comté. 1984. La fête du mouton, fête musulmane à Besançon, diffusé le 06/09/1984 – durée : 02min03s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.dailymotion.com/video/xfdyvn_la-fete-du-mouton-fete-musulmane-a-besancon_news#.UO193Y4f8dg
    Commentaire et description de l’auteur : Le sacrifice du mouton est à la fois une fête musulmane et une occasion de se retrouver en famille et de marquer son appartenance à une communauté. Le reportage suit sa célébration au foyer des travailleurs à Besançon : commentaire en off, images et interview d’un croyant. C’est la commémoration du geste d’Abraham, prêt à sacrifier son fils par amour de Dieu. Elle est célébrée 2 mois et 10 jours après la fin du ramadan. C’est au cours de cette période qu’a lieu le pèlerinage à la Mecque. Interview de Ali Hebbaz, retraité. Tout musulman qui en a les moyens doit sacrifier un mouton, garder de quoi nourrir sa famille pendant 3 jours et donner le reste aux pauvres de toutes obédiences. Il est plus facile d’être musulman en France aujourd’hui qu’à une certaine époque. 
  • INA, Journal télévisé Midi 2. 1995. Fête de l’Aïd / SPA, diffusé le 10/05/1995 – durée : 01min57s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/CAB95029104/fete-de-l-aid-spa.fr.html
    Commentaire et description de l’auteur :  La fête de l’Aïd qui commémore le sacrifice d’un mouton par Abraham en lieu et place de son fils donne lieu à l’abattage en masse de moutons dans la communauté musulmane en France. Sans que soit toujours respectée l’hygiène ni atténuée la souffrance des animaux. Réaction du docteur Leïla el Fourgi, de la SPA tunisienne. À Goussainville, la direction des services vétérinaires a mis en place un centre d’abattage ou les règles d’hygiène sont contrôlées. – Goussainville, parc servant de lieu d’abattage des moutons. – Jeunes capturant un mouton dans l’enclos. – Interview de Bernard Vanhoye, de la direction des services vétérinaires du Val d’Oise « sacrificateurs habilités ». – Interview d’un jeune homme « c’est propre et bien fait ». – Sur portique, carcasse dépouillée de sa peau, qu’on fourre dans un sac plastique. – Interview de Leïla El Fourgi, de la SPA Tunisie « vivant ne veut pas dire conscient, on peut étourdir avant de tuer ». – Stand où les participants mangent des crêpes, vieil homme buvant un verre.
  • INA, Journal télévisé Midi 2. 1997. Fête du mouton, diffusé le 19/04/1997 – durée : 01min52s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.ina.fr/art-et-culture/gastronomie/video/CAB97104302/fete-du-mouton.fr.html
    Commentaire et description de l’auteur : À l’occasion de l’Aïd el Kébir, fête de la religion musulmane, « Une Chorba pour tous » lance une action généreuse. – Dans une boucherie musulmane, boucher avec carcasse de mouton sur l’épaule – SAïd, bénévole, vient chercher une grosse pièce de mouton / Découpe de la viande – Interview de SAïd sur cette initiative : « Donner de la viande à ceux qui n’en n’ont pas » – Interview d’une autre bénévole de la Chorba, Houassili : « L’Aïd c’est distribuer le mouton » – Distribution de repas par la Chorba gare du Nord : Arrière plan : des pauvres mangeant la soupe – Interview de SAïd : « L’Aïd a permis de mettre un peu plus de viande dans la soupe… C’est toute l’année qu’il faut manger » – Arrière plan : hommes seuls mangeant la soupe de la Chorba.
  • INA, Journal télévisé Antenne 2 20h. 1998. Aïd el Kebir, diffusé le 07/04/1998 – durée : 02min02s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.ina.fr/art-et-culture/gastronomie/video/CAB98014534/aid-el-kebir.fr.html
    Commentaire et description de l’auteur : Les Musulmans de France se préparent pour la fête du Sacrifice : – Rue de Tanger dans le XIXe arrondissement de Paris, sortie de la mosquée – Khadija Chemaouni dans la rue, elle va acheter le mouton / Façade de la boucherie musulmane / Interview de Khadija Chemaouni : « Les gens ont commandé le mouton, ils viennent le chercher » – Intérieur boucherie, arrière plan : bouchers découpant morceaux de mouton, arrière plan : clientèle / Interview du boucher, Abdou Hamdane – Interview Amar Lasfar, recteur de la mosquée de Lille sud : « Réfléchir à des sites provisoires sous le contrôle des services vétérinaires qui garantissent que les Musulmans tuent leur bête dans la dignité » – Jeune homme et sa mère épluchant oignons et préparant tomates / Interview du fils : « Je suis Musulman… » – Khadija préparant la semoule de couscous (pour les sans-abri) – Distribution de couscous à ceux qui vivent dans la rue par l’association humanitaire Chorba pour tous.
  • INA, Journal télévisé édition nationale 19/20. 2001. Aïd et Kébir : pénurie de moutons, diffusé le 02/03/2001 – durée : 02min34s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.ina.fr/video/CAC01012011/aid-el-kebir-penurie-de-moutons.fr.html
    Commentaire et description de l’auteur : Reportage à Paris sur les conséquences de l’épidémie de fièvre aphteuse sur la l’Aïd el Kébir, la fête musulmane du mouton. Interview de Dalil Boubakeur recteur de la mosquée de Paris. Interview de Kader Kaddouni président de l’Association des musulmans du territoire de Belfort. Microtrottoirs dans le 18e arrondissement de Paris.
  • INA, Journal télévisé France 2 20h. 2008. Religion : nouvelle mosquée à Créteil, diffusé le 08/12/2008 – durée : 02min39s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.ina.fr/economie-et-societe/religion/video/3788735001029/religion-nouvelle-mosquee-a-creteil.fr.html
    Commentaire et description de l’auteur : Reportage à Créteil où 7000 musulmans sont venus célébrer l’Aïd El Kébir dans la nouvelle mosquée. Avant la construction de ce lieu de culte, les fidèles priaient dans des locaux exigus et inadaptés. Le commentaire sur des images factuelles alterne avec les interviews de fidèles musulmans satisfaits d’avoir un lieu de culte, du maire de Créteil Laurent Cathala qui a soutenu le projet de construction, et de riverains. [Source : prompteur France 2] Les musulmans du monde entier ont célébré, aujourd’hui, l’Aïd el Kébir… La fête du sacrifice en mémoire d’Abraham est aussi une journée de prière… La France devrait voir s’accélérer, dans les années à venir, la construction de mosquées dans les grandes villes… Pendant longtemps, elles ont fait peur… Aujourd’hui, ces lieux de culte sont, semble-t-il, en voie de banalisation… Reportage à Créteil, Nabila Tabouri, David Fossard.
  • LCM, TV Sud. 2010. L’Aïd dans la Cité, une fête à partager (Marseille), mis en ligne le 05/11/2010 – durée : 06min50s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.youtube.com/watch?v=wV7Ptg0he8k
  • LE MEILLEUR DE MARSEILLE, Olympique Éditions. 2011. Les musulmans de Marseille fêtent l’Aïd au parc Chanot, mis en ligne le 07/11/2011 – durée : 01min15s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.youtube.com/watch?v=OR6XuASI14A&feature=player_embedded
  • MOUJAHID13, (utilisateur Youtube). 2010. Nasser à l’Aïd dans la cité, 2010, mis en ligne le 5/12/2010 – durée : 02min29s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.youtube.com/watch?v=ra8zcuJyJWc
  • PHILIPPEDEMARSEILLE, (utilisateur Youtube). 2011. Interview du président de l’Union des Familles Musulmanes, mis en ligne le 08/11/2011 – durée : 02min55s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://www.youtube.com/watch?v=mkdsRcq2BHQ
  • TF1, Journal télévisé de 20h. 2009. Fête en famille à Marseille pour l’Aïd el Kebir, diffusé le 28/12/2009 – durée : 01min45s. (en ligne). [Consulté le 10 Janvier 2013]. URL : http://videos.tf1.fr/jt-we/fete-en-famille-a-marseille-pour-l-aid-el-kebir-5566715.html
Marie-Laure Boursin
Marie-Laure Boursin
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"Entre fêtes et festivals : de l’Aïd à la mosquée à l’Aïd dans la cité." Revue Science and Video [Online]. Available: https://scienceandvideo.mmsh.fr/4-6/. [Accessed: 23 avril 2024]
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