Maya Ben Ayed

Maya Ben Ayed

La Profilmie comme outil d’analyse comparative. Faiseurs d'images à l'épreuve de la parole

Doctorante à l'Université de Provence (IREMAM), réalisatrice de deux courts métrages expérimentaux en animation. Sa recherche porte sur le cinéma d'animation en contexte autoritaire. Cas de la Tunisie

L’entretien filmé dans le cadre d’une enquête sur le cinéma d’animation porte en lui la spécificité de son objet de recherche, à savoir les cinéastes, auteurs de films. En effet, le champ, le hors-champ et la mise en scène sont au cœur de leurs pratiques. Si dans les entretiens avec des non-faiseurs d’image, l’auto-mise en scène pourrait éventuellement constituer un handicap, dans une recherche – se basant aussi bien sur un corpus de films que sur un corpus de discours de leurs auteurs –, la profilmie se révèle au contraire un atout et un outil d’analyse comparative fécond. Toutefois, le cinéma d’animation et le cinéma de prise de vue réelle n’ont pas le même rapport au champ/hors champ et à la caméra. Définir ces spécificités dans un premier temps est nécessaire pour mieux comprendre les mécanismes de mise en scène de soi dans le film, ainsi que la valeur heuristique de la profilmie qui viendra appuyer l’analyse filmique. Notre propos se limitera à l’analyse de trois itinéraires de cinéastes tunisiens et à leur rapport à l’auto-mise en scène.

Mise en contexte

L’idée de travailler sur le cinéma d’animation tunisien m’est venue au cours de mon travail de recherche en DEA (2003) sur l’animation comme genre hybride entre cinéma et art plastique. J’ai intégré en 2002, pendant une courte période, l’équipe de Cinétéléfilm qui avait pour ambition de réaliser « les premiers dessins animées » tunisiens. J’ai moi-même, en tant qu’amateur, pratiqué l’animation sous la forme de courts métrages expérimentaux qui s’inscrivaient dans une perspective plastique. Ces deux expériences m’ont fait connaître l’existence d’un cinéma d’animation en Tunisie ainsi que quelques noms d’auteurs, dont certains ont commencé dans le cinéma amateur. M’intéressant à la dimension de « contestation » politique et sociale que peut renfermer un film d’animation, genre souvent perçu comme seulement divertissant ou funny, j’ai entrepris de faire une recherche sur ce cinéma en Tunisie et d’enquêter sur l’existence d’un cinéma d’animation contestataire ou engagé politiquement.

La première appartenance de certains cinéastes au cinéma amateur tunisien, connu pour son engagement politique et social, me convainc que ce cinéma a pu exister dans le contexte politique autoritaire du pays. Au début, je m’intéressais à l’analyse de la production filmique en animation pour relever des objets politiques en lien avec la période et le contexte de leur réalisation. Je me suis donc adressée au ministère de la Culture, et à sa section cinéma, pour visionner ces films. Les responsables à l’époque (2003) ne m’ont pas permis, peut-être par désintérêt ou par « paresse », de les visionner et m’ont orientée vers les auteurs pour récupérer leurs œuvres. Ceci m’a amenée à entreprendre une série d’entretiens de 2003 à 2008 avec des cinéastes d’animation toutes générations confondues. Ce qui n’était au départ qu’un simple « moyen » pour obtenir mon corpus filmique est devenu une quête en soi. Ma question première, sur la dimension d’engagement politique du cinéma d’animation, était confortée par des éléments relevant de la biographie et du parcours cinématographique des auteurs, dont une partie a suivi une formation dans les pays de l’Est, connus pour le cinéma d’animation « politique ». En 2010, j’entreprends une thèse de doctorat en Histoire qui pose la problématique du cinéma d’animation tunisien dans un contexte autoritaire : contestation ? résistance ? ou subversion ?

La quasi-absence d’études et la rareté des archives sur le cinéma d’animation en Tunisie, nous a amené à compléter notre analyse filmique par une enquête auprès des auteurs de ces films et à reconduire une nouvelle série entretiens. De 2012 à 2014, je suis, retournée auprès des auteurs pourvue d’une caméra pour des entretiens « enregistrés ». La caméra faisant office dans la plupart du temps d’un outil d’enregistrement du son. J’ai aussi entamé une série d’entretiens avec des acteurs du paysage cinématographique tunisien, en particulier du milieu associatif : la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs (FTCA) et la Fédération tunisienne des ciné-clubs (FTCC) d’où sont issus quelques cinéastes ; et qui ont constitué, sous le régime autoritaire en Tunisie, les rares espaces de liberté allant jusqu’à la contestation politique et sociale dans certaines périodes. Une partie de ces interviews a été entamée pendant le festival international amateur de Kélibia (2012) avec des jeunes cinéastes amateurs et auteurs de films d’animation, avec des cinéphiles et des cinéastes amateurs appartenant aux différentes générations de la FTCA et de la FTCC. J’ai multiplié les entretiens, de l’entretien individuel semi directif à l’entretien de groupe, entretien d’observation libre et sous une forme plus conviviale. Mon objectif était de relever un éventuel intérêt pour ce genre de cinéma au sein de ces deux associations. Aussi, j’ai pu conduire pendant le festival un entretien avec un cinéaste d’animation (génération années 80) qui a fait ses débuts à la FTCA et avec un critique cinématographique de l’Association tunisienne pour la promotion de la critique cinématographique (ATPCC). D’autres entretiens individuels, avec d’anciens responsables de la FTCC, organisateurs de manifestations dédiées exclusivement à l’animation, ont été poursuivis hors du cadre du festival.

La première série d’entretiens non enregistrés remontant à presque dix ans m’a facilitée l’introduction auprès des cinéastes. Toutefois, la question politique pose problème. Paradoxalement, que les entretiens soient effectués sous un régime autoritaire et répressif ou après le turning point survenu en janvier 2011((Ce Turning point correspond à la période allant du 17 décembre 2010 – date du déclenchement de l’insurrection populaire à Sidi Bouzid avant de s’étendre à tout le territoire tunisien – au 14 janvier 2014, date de la fuite de Zine El Abidine Ben Ali, deuxième président de la Tunisie indépendante après 23 ans de pouvoir à la tête d’un régime autoritaire et répressif.)), le rapport aux questions liées au politique ont constitué un problème. Si avant 2011, nous avons observé différentes réactions allant du mutisme à l’esquive jusqu’à la protestation « agressive », après 2011, la politique et surtout l’actualité sont au cœur de l’entretien sans pour autant nous permettre de recueillir des réponses à nos interrogations. Aussi bien dans l’absence que dans la profusion de paroles, la « vérité » ne se dévoile pas. On la retrouve dans l’interstice, en opérant plusieurs recoupements : agencement du vocabulaire filmique, paradoxes du discours verbal ou encore confrontation entre discours verbal et discours filmique. C’est donc à la quête de ces « vérités » dans « l’interstice » que j’étudie la notion de profilmie et d’auto-mise en scène.

Pour analyser ces deux notions, j’ai pris trois exemples-types correspondant à trois profils et parcours différents. Le premier, M.S, est le pionnier du film d’animation en Tunisie, auteur de plusieurs courts métrages dans le cinéma amateur puis professionnel. Il a été formé en Bulgarie sous la direction de Todor Dinov. Excepté son premier film en objets animés, les autres courts métrages sont en dessins animés. Le deuxième est N.K, artiste polymorphe : conteur, plasticien, écrivain et cinéaste d’animation au début des années 1970 avec trois courts métrages d’animation (technique mixte, papiers découpés et dessin) avant de se convertir à la prise de vue réelle. Il réalisa plusieurs longs métrages de fiction au succès international. Le troisième est A.B, caméraman aux Actualités ensuite à la télévision tunisienne et chef opérateur de la plupart des longs métrages tunisiens. Il réalisa un seul film d’animation en technique mixte (prise de vues réelles((Prise de vues réelles.)) et papier découpé). Le choix de ces exemples s’est fait sur la base d’une approche différente de la mise en scène et du rapport à la caméra.

Le cinéma d’animation, un cinéma de l’interstice

« L’animation n’est pas l’art des dessins qui bougent mais l’art des mouvements dessinés. Ce qui se passe entre chaque image (frame) est bien plus important que ce qui existe sur chaque image. L’animation est donc l’art de manipuler les interstices invisibles qui existent entre les images. »((Traduction proposée par Georges Sifianos, Esthétique du cinéma d’animation, Cerf-Corlet, 2012, p. 5. D’autres traductions de la citation de McLaren ont été produites (par exemple celle d’André Martin) dont Sifianos a discuté la fidélité à l’originale en anglais. La citation de McLaren étant : «Animation is not the art of DRAWINGS that- move but the art of MOVEMENTS-That-are-drawn. What happens between each frame is much more important than what exists on each frame. Animation is therefore the art of manipulating the invisible interstices that lie between frames».))

C’est la définition donnée par Norman McLaren, cinéaste d’animation canadien (et cinéaste sans caméra). Nous la retenons, même si elle a été controversée notamment par H. Joubert-Laurencin (1997), parce qu’elle nous renseigne sur la pratique de l’animation vécue par les animateurs. Comment produire du mouvement dans un « univers statique » où les éléments ne bougeront pour la première fois que sur écran ? C’est cette approche du mouvement et du film dans son vocabulaire qui nous intéresse dans la définition de McLaren. Si le mouvement dans le cinéma de prise de vues réelles (PVR) est capté/reproduit par la caméra, il est, dans le cinéma d’animation, produit à partir d’images statiques dont chacune porte en elle un souffle de ce mouvement. Nous avons tendance, à tort, de croire en la mimésis totale entre le film et son référent, et avançons (souvent dangereusement) que le cinéma reproduit « le réel ». Cependant, cette « reproduction » ne se fait pas sans perte. La caméra argentique, dispositif d’enregistrement de 24 photogrammes par seconde, nous donne une reproduction tronquée du mouvement qu’elle filme. Pendant la phase d’escamotage, l’obturateur est fermé. Pour chaque photogramme imprimé sur pellicule, un photogramme est « perdu » pendant le laps de temps où l’obturateur se ferme pour protéger la pellicule de la lumière. La Caméra ne capte pas le mouvement, elle le reproduit en le divisant en 24 images/s et en refoulant les « pertes ». L’animateur reproduit le travail de la caméra en divisant le mouvement en plusieurs phases ou intervalles. Chaque mouvement est marqué par deux images clés, celles du début et de la fin, et entre les deux on dessinera les intervalles pour produire ce mouvement. Thierry Kuntzel souligne cette différence fondamentale entre cinéma de PVR et cinéma d’animation :

« Dans le film photographique, le code du mouvement est pris en charge par la caméra qui, dans l’apparente neutralité d’une technique, semble reproduire un mouvement “réel”, aussi “naturellement” que la photographie reproduit l’objet fixe “réel”. Dans le dessin animé, parce que l’espace du film-pellicule est conçu d’emblée en fonction du temps du film-projection, le mouvement n’apparaît pas comme reproduction d’un pseudo réel, mais comme production, de même que se donne comme production l’image, qui affiche ses codes, son processus signifiant, loin de tout décalque analogique »((Kuntzel Thierry, Le défilement, in D. Noguez (ed.), Cinéma. Théorie, lectures, Paris, Klinksieck, 1978, p.98-99.)).

En se substituant à la caméra, le cinéaste d’animation manipule autrement la notion de champ et de hors-champ. En effet, dans le travail de l’animation (décors, animation de personnages ou d’objets), le cinéaste représente uniquement le cadre. Il n’a pas à recadrer dans un « réel » à travers son objectif en choisissant de mettre en hors-cadre une partie de celui-ci. Dans son travail des décors (en 2D ou en 3D), il peut représenter à la fois et en même temps le champ et “son” hors-champ qui n’est autre que le champ de la séquence suivante. Le champ dans un film en PVR, qu’il soit documentaire ou de fiction, invoque un hors-champ qui a une existence matérielle (un personnage qui entre et sort du champ), et a un hors-cadre qui a coexisté et qui serait un prolongement de ce qu’on voit à l’écran. Dans un film d’animation, le champ renvoie à un hors-champ qui n’a pas d’existence matérielle, le personnage qui sort du champ est englouti dans un néant.

En se substituant à la caméra, l’animateur doit dessiner non seulement le mouvement, le champ et le hors-champ mais aussi le mouvement et la position de la caméra dans certains cas. Ses personnages et son décor dépourvus de masse corporelle, dans le cas de la 2D, doivent être dessinés en contre-plongée ou en plongée ; les décors obéissent, parfois, à une perspective distordue (perspective multiple d’un seul objet ou élément) qui prendra en compte le mouvement de la caméra.

« L’animateur conçoit le film-pellicule (chaque photogramme, l’articulation des photogrammes entre eux) en fonction du film-projection et du sens qu’effectuera le mouvement((Thierry Kuntzel, Le défilement…, p.99)) […] De l’espace pelliculaire au temps de projection, le film met la gomme : sa mise en mouvement est effacement de son processus signifiant, et, à la limite cache certaines de ses images, qui passent trop rapidement pour être “vues”, sans pour autant cesser de faire effet, souterrainement. »((Thierry Kuntzel, Le défilement…, p. 101))

Un exemple tiré d’un de mes entretiens avec des cinéastes d’animation pourrait illustrer ce propos. En me parlant des coulisses de la préparation son film Mohammedia, qui relate une période de l’histoire pré-coloniale de la Tunisie, l’auteur évoque un personnage que lui et son équipe associaient à une personne de leur entourage (réalisateur de cinéma).

« Or, quand j’ai fait ce film, j’étais avec M.A((M.A a réalisé les séquences animées du film. Son nom a été cité intégralement dans l’entretien. On a préféré le désigner par des initiales comme on a procédé pour nos trois protagonistes.)), qui avait de l’esprit et de l’humour. On rigolait d’Ahmed Bey comme s’il était un personnage vivant. On est resté six mois à travailler. Donc Mohammedia, pour nous, n’était pas une abstraction. On le connait con et cupide (il le dit en tunisien : blid wu tamme’) et l’autre un salaud (khra), etc. C’étaient des personnages vivants avec qui on vivait, ce n’était pas une abstraction. Ben Ayed, un salaud et lellou. Puis, on les confondait avec des crétins qu’on connaissait. Lellou c’était A.B.A((A.B.A est un réalisateur tunisien de longs métrages de fiction. Son nom aussi a été cité intégralement dans l’entretien.)) (des rires). Il apparait ainsi (il fait une gestuelle pour me montrer comment le personnage entre dans le champ).»

La dernière remarque d’A.B, appuyée de paroles et de gestes, m’intrigua lors de la retranscription, parce qu’elle semble rester en suspend. Pourtant, c’est en revoyant le film Mohammedia que j’ai saisi le sens de sa phrase et de sa gestuelle. Il me parlait d’un plan du film qui dure quatre secondes où le personnage nommé Lellou pendant l’entretien, est un usurier qui accorde un prêt à taux élevés au Bey sous les conseils de Mahmoud Ben Ayed, ministre corrompu de ce dernier, apparaît dans le champ. Ce qui confirme la notion “d’effet de gomme” proposé par Knutzel.

Le cinéma d’animation est doublement cinéma de l’interstice. D’abord, cet intervalle invisible entre chaque image avec laquelle l’animateur compose pour donner sens au mouvement, non pas uniquement pour produire le mouvement que la caméra reproduit, mais pour donner un sens et une connotation à ce même mouvement. Ensuite, l’interstice existant entre le film-pellicule (ou le « ruban modulateur » selon H. Joubert-Laurencin, 1997) et le film-projeté. Un interstice qui « cachera » ou mettra au niveau latent certaines images que le spectateur percevra et enregistrera « inconsciemment » comme il le fait avec les images subliminales. C’est aussi l’une des facettes de la charge subversive intrinsèque à l’animation. Enfin, ces personnages, corps et décors, et tous ces éléments de l’image n’ont pas de référents dans « le réel ». Ils sont le seul produit de l’imaginaire. Sébastien Denis, reprenant la logique Kantienne relative à l’image reflet de la perception du réel par l’artiste et non le reflet du réel, dit de l’animation :

« En animation, on donne forcément à voir une image directement issue du cerveau créateur, loin de la “réalité” de toute façon mensongère mise en scène par “l’objectif” de la caméra ».((Sébastien Denis, le Cinéma d’animation, Paris, Armand Colin, 2011 (2e édition), p.62))

Un film d’animation est tout d’abord une feuille blanche, un espace vide dans lequel on inscrit une graphie. De par cette spécificité technique, tout élément est inévitablement inducteur de sens. L’élément non-sens ou superflu ne peut apparaître dans le champ. Kuntzel explique que le dessin animé se démarque doublement du film photographique, au niveau de l’image et du mouvement. Il s’appuie sur les notions d’obvie et d’obtus((” […] C’est un sens qui me cherche, moi destinataire du message, sujet de la lecture, un sens qui part du S.M.E. et qui va au-devant de moi : évident certes (…) mais d’une évidence fermée, prise dans un circuit complet de destination. Je me propose d’appeler ce signe complet le sens obvie […] Quant à l’autre sens, le troisième, celui qui vient “en trop”, comme un supplément que mon intellection, ne parvient pas à absorber, à la fois têtu et fuyant, lisse et échappé, je me propose de l’appeler le sens obtus”. Roland Barthes, « Le troisième sens. Notes de recherche sur quelques photogrammes de S.M. Eisenstein », Cahier du cinéma, n°222, Juillet 1970, p. 13.))  proposées par Roland Barthes afin de distinguer le message photographique de celui du dessin. «Décrire un dessin», c’est «décrire une structure déjà connotée, travaillée en vue d’une signification codée».((Roland Barthes, « Le message photographique », Communications n°1, 1961, p.129)) «La photographie se prête au sens obtus, le dessin est le lieu de l’obviation.»((Thierry Kuntzel, Le défilement…, p. 98.)) Par obvie, Barthes désigne un sens qui cherche son destinataire, un sens que l’auteur met en scène consciemment à l’attention du récepteur.

« Dessin animé, il est travaillé (classiquement) image par image : le photogramme en est l'”unité” de tournage, alors que dans le film photographique, c’est le plan qui constitue une telle “unité”. »((Thierry Kuntzel, Le défilement…, p. 98.))

On peut étendre cette spécification de l’unité de tournage d’un dessin animé à tous les autres films d’animation tournés image par image. Dessin, papiers découpés, animation de sable ou de poupées et pâte à modeler animée, le travail de l’image comme unité, bien qu’ayant recours à des techniques différentes de mise en image, relève du sens obvie.

La mise en scène « absolue »((Par “absolue”, nous entendons ici une mise en scène dont le sens est de l’ordre de l’obvie “barthienne”.)) et évidente est ce qui caractérise l’animation. Mark Baker la qualifie de « tricherie » :

« Les dessins ou les poupées ne peuvent pas vraiment bouger ou avoir des sentiments, mais d’une certaine manière avec l’animation on peut croire que si. En fait, le cinéma, dans sa globalité, est clairement “une tricherie”, car chaque plan est préparé et chaque dialogue est écrit. Mais, ce qu’il y a de particulièrement intéressant dans l’animation est que la “tricherie” est évidente ».((Sébastien Denis, Le cinéma d’animation…, p. 51.))

La mise en scène dans le film d’animation n’est pas qu’évidence, mais elle est assumée tout au long du processus de sa création. Tout n’est que mise en scène jusqu’au mouvement de la caméra. Certaines animations, dans une mise en abyme du travail de l’animateur, dévoilent cette mise en scène.

Je ne pouvais passer outre cette dimension de mise en scène dans le cinéma d’animation dans mon enquête auprès des auteurs. L’auto-mise en scène selon Claudine de France est inhérente à toute situation filmée (film documentaire). Nous ne pouvons donc ignorer le mécanisme de mise en scène des auteurs dans leurs « discours » en image animée dans la compréhension de leur auto-mise en scène dans le discours verbal.

La profilmie comme outil d’analyse comparative

La notion de profilmie a été proposée par Etienne Souriau comme « tout ce qui existe réellement dans le monde […] mais qui est spécialement destiné à l’usage filmique ; notamment tout ce qui s’est retrouvé devant la caméra et a impressionné la pellicule »((Etienne Souriau, L’univers filmique, Paris, Flammarion, 1953, p. 3.)). Claudine De France l’étend au film documentaire, car elle « concerne non seulement les éléments du milieu intentionnellement choisis et disposés par le réalisateur en vue du film, mais aussi toute forme spontanée de comportement ou d’auto-mise en scène suscitée, chez les personnes filmées, par la présence de la caméra »((Claudine de France, Cinéma et anthropologie, Éditions de la Maison des sciences de l’homme Paris, 1989, p. 373.)). C’est « la manière plus ou moins consciente dont les personnes filmées se mettent en scène, elles-mêmes et leur milieu, pour le cinéaste ou en raison de la présence de la caméra. »((Claudine de France, Cinéma et anthropologie…, p.373))

Corps Filmant Corps filmés

Dans notre cas d’étude, la caméra n’a pas été toujours utilisée comme dispositif d’enregistrement de l’image. Parfois, l’enquêté l’a refusé ou s’est senti gêné par sa présence. L’un des protagonistes m’avoua qu’il aurait préféré que je le prenne en caméra cachée, car se sachant filmé, il ne sera pas aussi naturel. Ainsi, nous avons eu le plus court entretien qu’on n’a jamais eu avec un cinéaste d’animation. J’ai fait donc le choix de rendre discrète la présence de la caméra, en ne retenant que la bande son. Dans les entretiens avec les auteurs particulièrement, la caméra est sur pied, fixe, généralement discrète sauf dans certains cas où les auteurs eux-mêmes ont réclamé une mise dans le champ, prenant visage et corps. Pour dissimuler la présence de cette caméra, pourtant annoncée, je prenais en même temps des notes dans l’objectif de mettre à l’aise mon enquêté ; adoptant ainsi la même posture que dans nos entretiens non filmés, dans une auto-mise en scène de soi. Cependant, cette quête d’un « naturel », du spontané par la « négation » de la caméra n’a pu empêcher une auto-mise en scène des enquêtés aussi bien au niveau de la parole qu’au niveau du corps. Comment les faiseurs d’images se sont mis en scène par le discours verbal filmé ?

Dans l’entretien avec M.S et A.B, ce sont les auteurs qui se sont mis spontanément dans le champ contrairement à N.K qui n’a pas demandé à être dans le champ de la caméra. Pourtant, mes premiers entretiens non filmés avec lui, datant d’août 2003, m’ont permis d’assister à une mise en scène de soi qui semblait évidente et qui a constitué un obstacle au déroulement de l’enquête((Le premier entretien, qui remonte à août 2003, s’est effectué chez le cinéaste, dans sa ville natale. L’auteur est habité par la culture andalouse et par l’âge d’or de la fiction arabo-musulmane. Ses longs métrages traitent de cette thématique. Aussi, il nous confirma lors de l’entretien filmé de 2012 que toute son œuvre est un questionnement autour de « la panne de fiction » aujourd’hui chez les Arabes. L’architecture et le décor de sa maison sont tirés d’un conte des Mille et Une nuits. En 2003, lors de nos différentes rencontres, j’ai été accompagnée par deux autres personnes. Le lieu de la rencontre, doublement territoire de l’artiste à la fois par son statut intime/personnel et par la spécificité/originalité de son décor, est devenu une « scène » où la théâtralisation de soi repose aussi bien sur les “éléments scéniques” du décor mais aussi sur la présence d’un « public ». Une théâtralisation de soi qui a constitué un obstacle devant le déroulement de l’entretien.)).

Cependant, faut-il d’abord préciser le « hors-champ » et le contexte immédiat des trois entretiens. Un contexte en hors-champ qui pourrait interférer sur la manière avec laquelle les protagonistes se sont comportés vis-à-vis et devant la caméra, dans une double interaction : corps filmant/filmé et corps/espace. Pour M.S et A.B, la rencontre s’est faite chez eux (atelier ou bureau annexés à leur maison). M.S me proposa de mettre la caméra sur son trépied et « m’aida » dans le choix de l’angle de vue et la position de la caméra. La caméra ne prend que son visage dans le champ. A.Bme désigna, aussi, un angle de vue en rapport avec l’éclairage de son bureau. La caméra, légèrement en dessous de la hauteur des yeux, est posée de manière à prendre dans le champ le visage et une partie du corps. Pour N.K, la rencontre en 2012 s’est faite dans un lieu public. Un entretien libre « erratique » a commencé dans les rues de Paris sans caméra. Le personnage de 2012 est différent de celui que j’ai rencontré en 2003. Quand la caméra a fait irruption dans l’entretien, N.K ne s’est pas invité dans le champ. Compte tenu du lieu, un café, la seule manière de filmer est en caméra portée. Par crainte que la caméra ne soit perçue comme « agressive », elle ne lui a pas été imposée. Cet entretien sera surtout étudié dans la partie concernant le « hors-champ » de l’entretien.

L’arroseur arrosé

« L’ethnologue peut alors prendre en considération les manifestations auxquelles ne sauraient être immédiatement attribuées une signification ou une fonction précises et dont il ignore encore l’importance lorsqu’il les filme. »((Claudine de France, Cinéma et anthropologie…, p. 8.))

Cette remarque de Claudine de France sur l’observation différée qu’offre l’enquête filmée, bien qu’elle concerne le cinéma ethnographique, pourrait s’appliquer à d’autres champs d’étude et aux entretiens filmés. Je me suis présentée à l’entretien avec un certain nombre de questions qui réclamaient des réponses. Au moment du visionnage du film, j’ai retrouvé les réponses là où je ne m’y attendais pas, souvent dans un détour verbal. Dans les premiers entretiens filmés, je me suis rendue compte que j’étais moi-même un obstacle dans cette quête de la vérité. Une écoute impatiente, un entretien trop directif ne me permettaient pas de distinguer pendant l’entretien les moments où la réponse aurait pu surgir, autrement. Ce que je prenais pour une esquive, une déviation et que j’essayais de reprendre par une question, représentait un moment propice pour que réponse se manifeste sous une forme non directe. Dans les entretiens suivants, j’ai laissé passer ces moments de fuite dans un hors-sujet, sans en préjuger de l’importance sur le moment, pour en différer la saisie et la lecture globale de sens.

L’approche de la mise en scène dans le film par les protagonistes

M.S aborde le travail cinématographique comme expérience solitaire et intimiste. Il travaille seul chez lui, aidé par son épouse.

« J’habitais à Bab Bhar (en plein centre-ville) je me privais de sortie, je restais travailler chez moi».

Le travail de la mise en scène se fait en amont du tournage :

« On a tellement exercé notre regard qu’on finit par avoir des idées et les concevoir en images. On sait ce qui est faisable ou pas, ce qui a été fait d’une manière consciente ou pas […] si tu veux représenter un personnage méchant ou négatif, tu ne dois pas lui attribuer des formes rondes. Les formes rondes signifient la douceur. Par contre, les angles droits et aigus dénotent l’agressivité. Je vais te faire un dessin des plus rudimentaires (il dessine sur une feuille de papier), un homme schématisé par deux carrés, le nez en forme d’un triangle. Il dégage de l’agressivité. Tu peux l’accentuer, en lui dessinant les yeux trop rapprochés. Le personnage est composé de formes anguleuses. Intérieurement, tu sens cette agressivité même si tu ne peux pas l’exprimer […]. Il faut donner au personnage son caractère et son qualificatif. Un agriculteur n’est pas le fonctionnaire derrière un bureau. Un commerçant dans son épicerie par exemple, je ne lui donne pas de formes anguleuses. Je lui dessine un visage rond et un corps bien rond, parce qu’il n’a pas beaucoup d’activité physique. Je lui dessine de petits yeux très proches pour signifier la malice et la ruse, les yeux d’un renard. Il faut avoir en tête tous ces détails pour étudier la psychologie du personnage. Il faut entrer dans la peau de ton personnage pour finir par devenir toi-même le personnage. »

Il nous livre ici un inventaire graphique de son langage et sa manière de manipuler les stéréotypes populaires afin que ses personnages et animations véhiculent du sens.

N.K se présente comme conteur par le verbe et par l’image. Il se définit comme un solitaire :

« – Le cinéma m’intéressait, mais la prise de vue réelle m’effrayait parce que j’ai un caractère timide et renfermé. Je ne me voyais pas en train d’expliquer ma pensée ni de diriger une équipe. Le cinéma était pour moi quelque chose de plus intime.

– Le cinéma d’animation ?

– Mmh, plus personnel, plus solitaire, etc. »

Pourtant, il démarre une carrière dans le cinéma de prise de vue réelle en réalisant des longs métrages dans lesquels on retrouve un univers onirique. Ses films de PVR semblent être conçus détail par détail où tout élément renvoie à un sens métaphorique. Il dit de son expérience en animation puis en PVR :

« J’ai travaillé seul, non non (sic), je n’ai jamais travaillé en équipe et même quand j’ai fait mes films où je suis obligé de travailler en équipe, je travaille aussi seul parce qu’au fait je suis à la base de tout. Non pas que je ne veux pas travailler en équipe mais (un temps de réflexion) mon travail est la résultante d’une réflexion très précise et non pas un emprunt à un environnement. C’est vraiment des choix et des choix qui ont des histoires. »

Son travail de la mise en scène se fait en amont aussi bien pour l’animation que pour la PVR

A.B est caméraman de formation et de profession. Il a travaillé comme intérimaire aux Actualités françaises, à partir de 1962, avant d’intégrer, trois ans plus tard, les Actualités tunisiennes puis la télévision. Il se qualifie avec cynisme, comme un « sbire » du pouvoir en parlant de son travail de caméraman sous régime autoritaire :

« Et puis nous, ils nous ont laissé filmer parce que nous sommes des sbires à eux. C’est comme si on n’a pas confiance en quelqu’un qui nettoie les toilettes !  les caméramans […]. Quand je travaillais pour la télévision et quand un policier nous arrête et nous demande la carte d’identité, [nous lui répondions] ” Collègue ! nous sommes des collègues “. Le ministère de l’Intérieur et la télévision sont des collègues […] au service du pouvoir, aveuglément. On dit ce que veut dire le pouvoir. »

Il qualifie son travail de caméraman de ” mise en scène”, celle du pouvoir. De son expérience en animation, il insiste sur la dimension d’intimité et de travail solitaire auquel il n’est pas habitué. C’est un « alien » qui vient du cinéma de PVR, des projecteurs et du monde du cinéma.

« Du fait que je travaille dans le cinéma, je ne peux pas travailler seul. Je ne peux pas concevoir le travail solitaire. Quand, j’ai été pour chercher la documentation pour le film, j’étais avec un assistant, un camarade qui était avec moi ; complice. J’ai besoin de complicité, parce que je ne trouve pas mon travail suffisamment… Je n’ai pas d’égo important pour que d’un coup je me mette à faire ce film.»

Son approche de la caméra et de la mise en scène est radicalement différente de celle de N.K et de M.S. C’est en amont et en aval que la mise en scène se fait, aussi bien lors du tournage où il aura à filmer le pouvoir (qui se met en scène) qu’ultérieurement, pendant le montage. Il nous rapporta une anecdote concernant Bourguiba qui va dans ce sens : son collègue, un monteur du journal télévisé s’est fait virer parce qu’il a été distrait quant à cette mise en scène. Il a inversé les deux plans celui du début et de la fin, d’un Bourguiba entrant dans le champ puis sortant du champ. Bourguiba qui se mettait en scène d’une manière consciente et étudiée, s’est rendu compte de cette permutation des plans. En entrant à la salle de conférence, c’est colère et contrariété qu’il arbore, après son discours s’adressant au peuple, il sort du champ en affichant de la satisfaction. L’inversement des deux plans a fait brouiller le sens que le président voulait donner à son auto-mise en scène. Des trois protagonistes, c’est A.B qui était en contact avec la notion d’auto-mise en scène, en tant que témoin, dans son travail de caméraman

L’auto-mise en scène dans l’entretien

Tout au long du premier entretien avec M.S, datant du 12 septembre 2012 et durant 2h45, le cinéaste éluda la discussion de la dimension politique dans ses films. Dans les entretiens précédents, non filmés de 2003 à 2006, M.S n’a pas cessé, en réponse à la question politique, d’insister sur sa position apolitique. Dans le même temps, il affirmait à maintes reprises que le cinéma d’animation doit porter un message pour la société pour laquelle il est destiné. Il revendique son appartenance à une école didactique par le film. Une anecdote, datée de 2006 concernant son film en post-prod, Ruse par ruse où l’auteur a réagi « agressivement » à une question directe sur la valeur symbolique d’un élément, m’a orienté dans le choix de la formulation et la « stratégie » à adopter pour poser ces questions. Outre le récit biographique de son parcours cinématographique, le questionnaire aborde un deuxième volet essentiel qui doit vérifier les hypothèses de travail, le message sociopolitique véhiculé par le film, et sa mise en scène. Une première analyse formelle de trois de ses films professionnels : Marchand de fez (1967), Le pain (1972/1994), Ruse par ruse (2006) m’a permis de dégager des objets politiques/sociaux en rapport avec le contexte de leur production. Le discours politique dans les films de M.S est latent, implicite et se construit sur la métaphore. Lors de notre premier entretien filmé (2012), je lui ai posé quatre fois la même question, sous des formulations diverses et espacées dans le temps. La question cherche à établir le lien entre la période collectiviste qu’a connu la Tunisie dans le milieu des années soixante ainsi que la crise économique sociale et politique qu’elle a engendrée et ses deux films réalisés respectivement en 1967 (en Bulgarie) et 1972 (première version en 16 mm, en Tunisie). À chaque fois, il esquive la question. Il répond par sous-entendus :

« Non non (sic), hier et aujourd’hui, il faut connaître son peuple et ses aspirations. Tu dois savoir ce que tu veux, ce que tu ne veux pas et ce qui te convient. Il faut avoir une connaissance de soi-même pour pouvoir avancer. On ne peut entreprendre aucune action dans ce pays si on ignore d’où vient ce peuple, et quelles sont ses traditions »

pour bifurquer ensuite sur l’histoire de la Tunisie des Berbères jusqu’à l’occupation arabe puis française en arrivant à l’actualité sur les salafistes. Dans sa deuxième réponse il répéta à peu près la même chose :

« Oui, la période collectiviste. Cette parenthèse a été ouverte quand on a commencé à parler de la politique collectiviste. Il faut chercher à comprendre son peuple, à le connaître, et quelles sont ses aspirations »

puis il cita Ibn Khouldoun sur les Egyptiens et bifurqua sur les Berbères, peuple non instruit qui a été une proie facile à l’occupation arabe. Dans la troisième tentative il reprend le même leitmotiv :

« C’était la grande crise. Ils n’ont pas cherché à connaitre ce peuple, ses désirs et ses ambitions. On n’a même pas établi de canons de beauté pour la femme. »

Il se montre prolixe sur les canons de beauté chez les Grecs, les Romains, puis chez les Arabes et sur les problèmes que posent l’absence de canon de beauté dans les arts et le dessin animé en particulier. En réponse à la quatrième question, il explique :

« Pour le collectivisme, l’erreur provient du haut niveau, de Carthage. C’est un micmac interne. Bourguiba, n’a pas trouvé de collaborateurs sur qui il pouvait compter. Un Beji Caid Sebssi est le seul qui ose dire non à Bourguiba. Ahmed ben Salah est un roublard. Il ne connaît rien au peuple à qui il voulait imposer le collectivisme. Ça ne pouvait fonctionner avec ce peuple. D’abord, il faut instruire le peuple pour juger de la possibilité de l’application de ce système. »

Même s’il s’exprime directement sur cette période en citant les noms des principaux protagonistes, il ne se détache pas de la version officielle du pouvoir, à savoir faire porter le chapeau à un seul responsable Ahmed Ben Salah. On constate aussi la répétition de la même idée : importer une politique pour l’appliquer à un peuple sans se préoccuper de savoir si ce dernier pouvait l’accepter et l’intégrer. Cette idée fait écho à son court métrage le Marchand de fez réalisé en 1967 en Bulgarie. Pour ce film, il déclare :

« C’est un conte tiré de Kalila wa Dimna (d’Ibn El Mouqaffaa). Il avait un autre titre : Les singes et le Marchand des fez. L’idée est qu’il ne faut pas imiter aveuglément ».

La réponse à notre question viendra plus tard, dans la continuité d’une réponse à une autre complètement différente :

« – Quand vous êtes rentré de Bulgarie, vous avez proposé à la SATPEC de créer un studio de film d’animation. Vous avez même déposé un dossier auprès de la SATPEC ?».

Il rétorque en me relatant cette expérience, en me parlant de ses difficultés, de l’application de la politique collectiviste à la SATPEC, de la corruption, etc. Enfin, il ouvre une parenthèse où il donne la réponse éludée à plusieurs reprises :

« – Pour revenir à la période collectiviste, c’était la catastrophe. Au gouvernement, il y avait des exploitants. Il fallait changer la mentalité de ceux-là avant d’entreprendre l’aventure collectiviste. À l’époque, en 1972, Wassila Bourguiba vendait le kilo de melon à 8 dinars. Elle s’est associée avec Hedi Nouira. Ils avaient des terres du côté de Slimane. Elle a ramené des techniciens d’Europe pour cultiver le melon avec ses variétés catalane et charentaise. Ces deux variétés ne s’ont pas vendues aux particuliers mais aux restaurants luxueux. Ils servent le melon comme dessert mélangé au cognac. En décembre, elle exportait son melon en Europe, pendant que le peuple est endormi. Nous mourrons, nous mourrons… Les salauds ! »

Il commence à fredonner, sur un ton ironique, le premier vers de l’hymne national « Namoutou namoutou » (Mourons s’il le faut pour que vive la patrie) suivi d’une insulte à l’attention de la classe politique avant de les traiter de salauds.

« J’ai eu l’occasion d’observer ces milieux-là et d’être informé sur la corruption et la débauche dans le pays. Il ne faut pas se fier aux apparences. Des personnes à l’allure respectable peuvent changer en tout instant d’attitude. Ils disent ce qu’ils ne font pas. Ils n’ont ni foi, ni loi. »

La véracité historique de l’anecdote rapportée par M.S ne nous intéresse pas dans cette présente analyse. Elle rejoint, certes, les faits, à savoir que la politique collectiviste des années soixante, a été appliquée scrupuleusement aux petits exploitants et agriculteurs en épargnant les grands propriétaires terriens proches du pouvoir et de la cour du Président. Toutefois, ce récit de mémoire est intéressant à plusieurs niveaux. Dans cet article, je me propose de l’analyser en rapport avec la notion de profilmie.

Pendant l’entretien, le cadrage – bien qu’assez maladroit – prenait le visage de M.S et une partie de son buste. Quand il a évoqué la politique collectiviste, j’ai manipulé la caméra pour qu’elle le prenne de face et non de 3/4. Son visage est resté dans le champ jusqu’au moment où il évoque le nom de Wassila Bourguiba, épouse du Président. À ce moment, il lance un coup d’œil, très rapide, imperceptible en direction de la caméra située à sa droite. À partir du moment où il nous restitue l’histoire de la culture du melon, entreprise par l’épouse du président, il se rapproche de nous et sort du champ. Cette anecdote, M.S nous la rapporte sous la forme d’une confidence. Une confidence qu’il semblait vouloir soustraire à l’œil de la caméra. Mise en scène d’une dissimulation ? ou « mise en abyme » de la représentation par allégorie de sa position politique dans ses réponses précédentes et dans son œuvre ?

M.S a bien choisi le moment pour nous la révéler, en dehors de toute allusion à ses films. Ceux-ci recèlent à mon sens une dimension critique qui concerne tout à la fois cette politique et ses conséquences, mais aussi de la politique de Bourguiba, bien qu’il n’arrête pas d’affirmer le contraire. L’anecdote fait référence au personnage de Wassila Bourguiba et non à Wassila Ben Ammar (son nom de jeune fille, la Famille de Ben Ammar connue pour être de grands propriétaires terriens). Il continue, dans le même sens, à nous entretenir à demi-mots de la corruption de la classe politique. Je lui repose la question sur l’impact de ces expériences sur ses films, lui qui a été formé à l’École de l’Est connue pour ses films d’animation « de résistance ». Il me répond d’un seul trait : « Je suis apolitique ».

Le discours verbal de M.S est construit de la même manière que son discours par l’image dans l’ensemble de son œuvre. Sa position politique dans le film se révèle dans l’interstice, par la métaphore et dans un second degré de lecture. Dans son discours verbal, ses positions politiques se trouvent dans l’écart entre ce qu’il prétend croire ou être et ce qu’il dit réellement. M.S, dans nos entretiens, dit la chose et son opposé. Il se déclare être apolitique pourtant sa parole est extrêmement politisée. L’entretien est constitué de bifurcations répétitives sur l’actualité politique de la Tunisie après la révolution, de la corruption de l’administration et de références à différentes périodes de l’histoire. La politique collectiviste a pris fin en 1969. En 1970, Bourguiba charge Hédi Nouira pour succéder à Behi Ladgham en tant que premier ministre pour opérer un changement radical dans la politique économique du pays et pour le sortir du socialisme panarabe vers une économie libérale. Pourtant dans son anecdote sur le melon, il situe les écarts du collectivisme en 1972, associant Wassila Bourguiba à Hédi Nouira qui, pendant la période collectiviste, n’avait aucun portefeuille ministériel. Les faits historiques qu’il rapporte ne sont pas très pertinents pour notre propos. En revanche, ces anecdotes nous intéressent dans la mesure où elles ont alimenté son imaginaire et ont eu un impact sur son œuvre. La véracité de l’évènement narré est moins intéressante que sa valeur « imaginaire ».

A.B a connu un rapport différent à la caméra et au fait politique. En plus de travailler aux Actualités et à la télévision tunisiennes, il a intégré clandestinement, à partir 1978, le Parti communiste tunisien (interdit à l’époque). Dans le seul entretien que j’ai eu avec lui, A.B s’est montré très à l’aise devant la caméra. Il m’indique, dès le début, l’emplacement idéal pour la poser. A.B n’attend pas mes questions pour se lancer dans l’entretien. Il connaissait d’avance l’objet de notre rencontre : son film d’animation Mohammedia. Sans prélude et spontanément, il s’attaque au vif du sujet et me parle de son film. Il est le chef d’orchestre de l’interview. Bien que j’aie préparé des questions à l’avance, je n’ai pas interrompu son discours. Elles ont été posées en interaction avec ce qu’il révélait de son film et de son parcours. D’autres questions ont dû s’improviser puisque c’est la première fois que je le rencontre.

A.B, comme on l’avait décrit antérieurement vient du milieu du cinéma et de la télévision. Il a été un témoin direct de la mise en scène du pouvoir. Le temps diégétique du film Mohammedia se situe à la fois dans la période pré-coloniale de la Tunisie, précisément le règne d’Ahmed Bey, à travers les séquences animées et dans le présent, début des années 1970, dans les séquences en prise de vue réelle, autour du personnage du Meddah (le griot). L’histoire d’Ahmed Bey 1er n’est que prétexte pour critiquer le régime en place, contemporain à la production du film (1972).

En évoquant l’auto-mise en scène des personnes filmées pour la première fois, Claudine de France fait référence au cinéma familial d’amateur où

« Grimaces, rythme accéléré des gestes (malgré une projection selon la vitesse adéquate), pseudo-chaînes temporelles et spatiales s’y entremêlent abondamment. Or, la spontanéité de ces manifestations, leur constance en tous lieux, en toute époque, tendent à prouver qu’il s’agit là d’une attitude permanente et profondément naturelle. Elle révèle en effet, sous une forme parfois excessive, parce que dominante, la tendance fondamentale qu’ont les hommes à se mettre en scène, à se donner en spectacles».((Claudine de France, Cinéma et anthropologie…, p. 256.))

La riche expérience technique de A.B, en tant que caméraman et directeur de la photographie, le place surtout « derrière l’objectif ». Cependant, l’auto-mise en scène à travers un jeu d’acting n’est probablement pas due à l’expérience de la première fois. Tout au long de l’entretien, le cinéaste alliait paroles et gestes. Certaines phrases commencent par le verbe et finissent par une gestuelle ou par un numéro de mime. Cet entretien nous a fixé de nouvelles contraintes et méthodes de retranscription. Je me propose d’analyser la profilmie à travers deux séquences extraites de l’entretien. Ce qui pourrait nous éclairer par la suite sur la mise en scène du politique dans le film Mohamedia (1974).

À l’opposé de M.S, A.B ne semble pas nier la dimension politique de son film. Il la revendique et l’assume. De la période évoquée dans le film, il affirme :

« C’est la politique au temps passé. La politique au temps passé (sic). Ce qu’on voyait avec Bourguiba et Ben Ali, il y avait la même chose. Malheureusement pire parce qu’ils ont amené l’annexion de la Tunisie. C’est très intéressant ».

Il répète la même idée en s’exprimant sur son film d’animation :

« Moi, j’ai pensé faire ce film et je pensais que d’autres allaient faire des films sur l’Histoire. Parce que ça me passionne et que c’est intéressant. L’Histoire c’est la politique dans le passé !»

À ma question : « – La politique dans le passé renvoie-t-elle au présent ? », il me donne cette réponse :

« – Qui renvoie ? Si on veut. ça nous permet de lire en tous les cas le passé, de comprendre le passé ».

Cependant, à ma question pour savoir si le film a été censuré à sa sortie, il rétorque :

« – Non. Au contraire, pour les gens de l’époque, les destouriens ou Bourguiba, les beys ont amené le pays à la dérive. Donc, c’était un truc très bon. Les gens qui faisaient le film ont pris peur, ils ont dit que “A.B” est devenu fou. Parce qu’ils voyaient que c’était tellement un parallèle flagrant, mais les gens au pouvoir n’ont pas vu. Au contraire ».

La question de l’engagement politique du film n’est pas esquivée par l’auteur. Elle est revendiquée par lui mais étendue au-delà de la période de sa production à tout régime autoritaire. Néanmoins, les phases de jeu d’acting ou de mime de A.B correspondent tout au long de l’entretien aux passages où il décrit le pouvoir à travers ses protagonistes : Bey, ministres, présidents, responsables d’État…

Nous pouvons avancer que ce jeu de mime, ou cette auto-mise en scène caricaturale, est beaucoup plus nette quand il s’agit de l’époque bourguibienne. Le protagoniste met en scène tout son corps pour mimer des situations ou des personnages correspondant à cette époque dont le Président. Est-ce une mise en abyme de la mise en scène du pouvoir ? Dans ce cas précis, celui de Bourguiba ?

On retiendra l’extrait où il nous décrit le déroulement du congrès du parti au pouvoir en 1971. A.B mélange les dates et les intitulés. Il nous restitue les coulisses du Congrès de la clarté tenu en 1972. Or ce congrès, qui visait la proclamation d’une présidence à vie de Bourguiba, se tient en réalité en 1974. Le congrès dont il nous rapporte les faits est celui du Décollage en 1971, trois ans avant la sortie de son film Mohamedia.  On en retrouve la trace dans le livre de Tahar Belkhodja, Les trois décennies Bourguiba (1998). Cette confusion dans les dates n’est certes pas fortuite, elle fera objet d’une analyse en rapport avec le contenu de son film dans un autre article.

« – C’est comme un film, pendant trois jours, un film. Les gens se sont dit la vérité, ce qu’ils étaient. Rien n’était figé. Il te dit : ” toi, salope, qu’est-ce que tu étais ? et quand est-ce tu es venue Madame Haddad ? et le président, tu veux…”. Très dur ! Un règlement de compte les uns avec les autres ; même des gens qui sont venus avec des mitraillettes avec leur Kachabia (habit traditionnel bédouin).

– Ah oui ?

– Ah Oui ? ! (sur un ton ironique) Mais c’est le pouvoir nom de dieu ! Tu crois que c’est une pièce de théâtre ? C’est ça ! C’est une pièce de théâtre ! Ils sont venus, des gens d’une ville du Sahel. Et nous, nous tournons ça. Je ne pouvais pas dormir tellement c’était beau ! Et tous ces gens-là ont élu un Comité central et le Bureau politique. Le Bureau politique a dit : ” On doit faire un peu de démocratie. On donne au parlement un peu de pouvoir pour qu’on ne refasse pas le scénario de Ben Salah qui nous a mis dans la merde pendant 4 ans “. (Il fait le geste d’applaudissement avec ses mains). Bourguiba entra. Il a dit : ” – J’aimerais bien entendre ce que vous êtes en train de dire “. Ils lui ont répondu. Il les as tous virés ! Il les a tous démissionnés.»

– Le bureau politique ?

– Tout ! Le comité central, le bureau politique, le président. Il les a tous virés».

Pendant cette séquence, le cinéaste mime les différents personnages de ce qu’il appelle « une pièce de théâtre », celle du pouvoir. Il relate l’histoire à la fois par le verbe et par le geste. La retranscription n’est pas du tout évidente, comme celle des « performances » de Bourguiba dans ses discours.

« Or, le discours bourguibien est un texte et il faudrait apprendre à traiter avec lui en tant que tel, c’est-à-dire en tant que message oral ou écrit, qui condense, dans sa performance plusieurs facteurs (la voix, le regard, le geste, le corps, la verve du narrateur). »((Hédi Khélil, « Habib Bourguiba. Les trois nouveaux enjeux. La télévision, l’ordinateur et la monnaie », Annuaire de l’Afrique du Nord, Paris, Éditions du CNRS, 1986, p. 300. https://doi.org/10.34847/nkl.18a27281))

A.B restitue la scène vécue en 1971 derrière la caméra, pendant le Congrès du décollage. Il utilise des gros mots en arabe dialectal tunisien en se mettant dans la peau d’un personnage de la scène observée pour montrer la tension qui existait pendant le congrès. Il ajoute au geste et aux expressions du visage, qu’il prenait pour jouer le rôle des congressistes, l’information se rapportant au port d’armes par certains d’entre eux. Face à mon étonnement, il répond par l’ironie. Enfin, dans une théâtralisation non feinte il poursuit :

« – Mais c’est le pouvoir nom de Dieu ! Vous croyez que c’est une pièce de théâtre ? C’est une pièce de théâtre ! ».

Par un geste qui appuie sa parole, il cita les passages importants de ce congrès ; à savoir l’élection d’un Comité central et d’un Bureau politique en les hiérarchisant par la gestuelle. est habituellement désigné,

La réforme proposée lors de ce congrès par le Comité central du PSD est d’élire le Bureau politique et non de le désigner. Une autre gestuelle suit mais sans qu’elle soit commentée : les applaudissements des présents de la proposition de cette réforme. A.B mime, ensuite, Bourguiba en bougeant cette fois-ci tout le corps. Il annonce l’arrivée de Bourguiba puis dans une performance d’incarnation, il avance vers la caméra en disant :

« – J’aimerais bien entendre ce que vous êtes en train de dire ».

La mise en scène de A.B de cet évènement, par le corps, le geste, l’expression du visage, ne serait-elle pas une mise en abyme ? Il répète le mot « pièce de théâtre » deux fois dans une théâtralité non feinte. Il dit lui-même de son film d’animation Mohamedia qu’il est fait à la manière des Actualités et du Journal télévisé. D’ailleurs, il qualifie ce journal ainsi que les autres apparitions télévisuelles de Bourguiba de mise en scène.

« Donc l’actualité tu la vois double. C’est des messages codés. Par exemple l’actualité dans les pays arabes, il n’y a jamais de son. Tu la vois comme ça. »

Il donne alors une performance de mime où il fait semblant de parler en faisant bouger la bouche sans qu’aucun son ne sorte. À la fin du numéro, il sourit. Plus loin il ajoute :

« Non ! Là ce n’est pas l’actualité ! Ce n’est pas l’actualité. C’est une mise en scène voulue».

Dans la séquence qui suit et qui décrit le journal télévisé de Bourguiba, il fait le mime en bougeant tout le corps pour imiter le président pendant qu’il nage :

« – Le journal de Bourguiba commençait pendant un certain temps par Bourguiba qui plonge dans la piscine pour montrer qu’il est en bonne condition physique (pendant ce temps, A.B fait toujours le mime du président en train de nager). Il n’est pas malade espèce de salauds. Voilà le président qui nage ! Et après, avec ” les directives du président ” voilà ce que vous devez faire espèce de connards (rire). Le physique et le moral. Et au milieu, blabla blabla, on raconte n’importe quoi, le président a vu tel ministre, la santé publique, etc.»

En conclusion, L’auto-mise en scène chez A.B, dans sa théâtralisation extrême et à la limite du caricatural, est une mise en abyme de la mise en scène du pouvoir. De son film, il dit avoir voulu imiter le format des Actualités, le réaliser comme un journal télévisé du Bey. À l’écran nous voyons des papiers découpés animés qui bougent comme des guignols (au départ il voulut le travailler en poupées animées, en guignol). Cependant, c’est une critique subversive du régime de Bourguiba qui transparaît dans le film à travers l’usage des médiums et des supports de mise en scène du pouvoir.

Le hors-champ de l’enquête :
les faiseurs d’images à l’épreuve de la parole

Si la notion de profilmie et si l’analyse d’auto-mise en scène des cinéastes nous révèlent certains mécanismes de mise en scène dans leurs films, le hors-champ de l’enquête (échange en dehors du cadre de la caméra et de l’enregistrement), lui aussi, est révélateur.

N.K s’enquiert après l’entretien filmé du destinataire de l’entretien pour savoir s’il serait destiné à une publication dans la presse écrite ? Il me demande de lui envoyer une copie de la retranscription de l’interview afin qu’il «le corrige en mettant de l’ordre dans ses idées». Bien qu’ayant eu lieu hors du cadre de l’entretien, cette anecdote me paraît intéressante. De tous les faiseurs d’images, ce sont les cinéastes d’animation qui sont tenus à maitriser totalement leurs images, le petit écart ou faux pas leur est fatal. Images en mouvement lors de la projection sur l’écran, leur conception se fait pourtant image par image dans un univers statique. Le cinéaste d’animation regardera pour la première fois les différentes séquences en mouvement lors de leurs projections sur écran. Le travail sur le champ/le hors-champ, le mouvement des personnages, le montage, aussi bien que le mouvement et la position de la caméra se fait par images successives bien avant le tournage.

N.K, a eu une brève période en tant qu’animateur dans sa carrière de cinéaste. Cependant, il affirme que même dans le travail de la prise de vue réelle, il veut avoir cette maîtrise totale de l’image :

« – Même quand j’ai fait mes films où je suis obligé de travailler en équipe, je travaille aussi seul parce qu’au fait je suis à la base de tout. Non pas que je ne veux pas travailler en équipe mais (un temps de réflexion) mon travail est la résultante d’une réflexion très précise et non pas un emprunt à un environnement».

La dernière phrase est intéressante parce qu’elle nous donne à voir sa conception du travail dans le cinéma (PVR ou animation) et sa volonté de contrôler les différents codes véhiculés par l’image. Ce que l’image ou le film nous diffuse comme message est ce que le cinéaste veut nous dire.

De la mise en scène dans les films à l’auto-mise en scène dans les entretiens, la vérité ou les réponses se trouvent dans un interstice dans lequel l’auteur enfouit sa vérité et son discours de résistance. Comme dans le roman d’Orwell, 1984, où le protagoniste, pour fuir l’omniprésence de Big Brother qui l’épie, trouve un « interstice » d’espace hors du champ de la caméra de surveillance où il pourrait écrire ce qu’il pense. C’est dans cet espace dissimulé que le discours de résistance se cache et se révèle à la fois.

Lexique

Auto-mise en scène

« Notion essentielle en cinématographie documentaire, qui désigne les diverses manières dont le procès observé se présente de lui-même au cinéaste dans l’espace et dans le temps. Il s’agit d’une mise en scène propre, autonome, en vertu de laquelle les personnes filmées montrent de façon plus au moins ostensible, ou dissimulent à autrui, leurs actes et les choses qui les entourent, au cours des activités corporelles, matérielles et rituelles. L’auto-mise en scène est inhérente à tout procès observé. Aussi ne doit-elle pas être confondue avec l’auto-soulignement, qui n’en est qu’une forme particulière. »((Claudine de France, Cinéma et anthropologie, Éditions de la Maison des sciences de l’Homme Paris, 1989, p.367))

Diégèse (dérivé : diégétique) 

« La notion de diégèse, inventée par la filmologie au début des années 1950, caractérise le monde fictionnel du film tel que le spectateur le construit et le comprend […] L’acception filmologique de la diégèse repose sur l’identification des différents aspects du monde fictionnel tels que le temps, l’espace, et les personnages.»((Dictionnaire de la pensée du cinéma, (Dir) De Baecque Antoine, Chevallier Philippe, Editions PUF, 2012, p.231-232))

Hors-cadre/Hors-champ

Dans cet article, nous insistons sur la différence entre ces deux terminologies. Si le hors-champ est tout ce qui est hors-cadre mais « imaginairement relié au champ, par un lien sonore, narratif, voire visuel », donc appartenant à l’univers diégétique, par hors-cadre, nous entendons la conception d’Eisenstein : « Il doit être considéré comme n’ayant aucune existence matérielle, comme étant un hors-cadre abstrait, plutôt qu’un hors-champ imaginaire et fictionnalisable».

Nous pourrons retenir aussi l’approche de Bonitzer (qui n’utilise pas le mot “hors-cadre”, mais parle d’une variété particulière de “hors-champ”), «c’est l’espace de la production, au sens le plus large du mot (pas seulement la production comme processus matériel, mais comme processus signifiant) ».((Aumont Jacques, Marie Michel, Dictionnaire théorique et critique du cinéma (2ème édition), Armand colin, 2008, p.120))

Mise en abyme (ou en abîme)

« Terme de rhétorique, proposé par André Gide et universellement adopté par la suite, signifiant l’enchâssement d’un récit dans un autre. »((Aumont Jacques, Marie Michel, Dictionnaire théorique et critique du cinéma (2ème édition), Armand colin, 2008, p.154)). La mise en abyme filmique a fait l’objet d’un essai de Sébastien Fevry. Il en donne une définition opérationnelle (Févry, 2000, p.29) et distingue deux types de mise en abyme filmique : « La mise en abyme homogène et la mise en abyme hétérogène. Ces deux termes, “homogène” et “hétérogène”, sont empruntés au linguiste Louis Hjelmslev. À l’origine, le caractère homogène ou hétérogène d’un langage est déterminé par la ou les matières d’expression qu’il utilise. Ainsi, si la mise en abyme s’exprime par le biais d’une seule matière de l’expression, que ce soit l’image ou le son, nous aurons affaire à une mise en abyme homogène. Par contre, si elle se déploie en usant du son et de l’image, nous aurons affaire à une mise en abyme hétérogène ».((Sébastien Févry, La mise en abyme filmique. Essai de typologie, Editions du CEFAL, Paris, 2000, p.29-30))

Obturateur

« Prise de vues. Dispositif, situé entre l’objectif et la fenêtre d’impression, qui ouvre et ferme alternativement la porte aux images venues de l’extérieur en correspondance avec le travail des griffes (Shutter) ».((Vincent Pinel, Vocabulaire Technique du cinéma, Nathan, 1996, p.273))

Obturation

« Prise de vues, Projection. Moment au cours duquel, l’obturateur étant fermé, l’image ne peut être ni impressionnée, ni projetée (Blackout). »((Vincent Pinel, Vocabulaire Technique du cinéma, Nathan, 1996, p.274))

 

Bibliographie

André Martin, Ecrits sur l’animation. Tome I. Pour lire entre les images, Textes rassemblé par Bernard Clarins, Paris, Éditions Dreamland, 2000.

Aumont Jacques, Marie Michel, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, Armand colin, 2008 (2e édition)

Balandier Georges, Le pouvoir sur scène, Balland, Paris, 1980.

Barthes Roland, « Le message photographique », Communication, n°1, 1961.

Barthes Roland, « Le troisième sens. Notes de recherche sur quelques photogrammes de S.M. Eiseinstein », Cahier du cinéma, n° 222, juillet 1970.

Belkhodja Tahar, Les trois décennies Bourguiba : témoignages, Paris, Publisud, 1998.

Camau Michel, Geisser Vincent (éds.), Bourguiba La trace et l’héritage, Paris, Karthala, 2004.

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Maya Ben Ayed
Maya Ben Ayed
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