Ces images ont été prises un an après la fin de la guerre entre l’Éthiopie et l’Érythrée et l’indépendance proclamée de l’Érythrée. Avant cette date, il était assez difficile de se rendre en Érythrée pour un chercheur en raison de cette guerre de trente ans entre ces deux pays. Une guerre au terme de laquelle l’Érythrée est devenue une nation indépendante en 1993¹.

Cette première série d’entretiens s’intéresse à la personnalité du docteur Esilda Gibello-Socco, arrivée à Asmara dans les années trente et dont le père fut un « intelligent agent » au service de l’Italie.

Ensablée au féminin : portrait de femme coloniale italienne

Très peu de femmes italiennes sont restées en Abyssinie après la perte de l’Impero Italiano dell’ Africa Orientale (1941) contrairement aux hommes qui se sont plus largement « ensablés » (Insabbiati) en Éthiopie en épousant des femmes. Aussi l’entretien du docteur Gibello est particulièrement intéressant sur la question du genre et colonisation. Cette femme a occupé des fonctions médicales dans la capitale érythréenne pendant plus de quarante ans, elle évoque une périodisation de la colonisation italienne scindée en deux moments historiques différents : la période républicaine antérieure au fascisme et la période fasciste. Des distinctions temporelles argumentées dans l’ouvrage « L’aventure Fasciste en Éthiopie 1936-1938 » (Le Houérou, 1994) et qui auront permis d’étayer l’existence d’une colonisation italienne « fasciste » à partir de 1936. Dans ces documents, la Dottoressa Esilda fait une analyse de classe éclairante permettant de lancer plusieurs hypothèses de recherches sur la base sociale du fascisme colonial. Elle brosse également un portrait particulièrement saisissant du vice-roi d’Éthiopie à l’époque du fascisme, le Maréchal Graziani qu’elle caractérise de belva (bête sauvage).

Cet entretien essentiel ne figure pas dans le film « Hôtel Abyssnie » tourné en 1996 (Patricia Plattner et Fabienne Le Houérou) diffusé sur Arte en 1997-1998. Il s’agit d’un document qui n’a jamais été diffusé – à la demande de l’intéressée – qui sollicita que cet entretien n’apparaisse qu’après son décès. Ce document est donc déconfiné vingt-cinq ans après…

La Dottoressa Esilda évoque également le mal d’Afrique un état nostalgique propre aux colons italiens dont l’attachement sentimental à ce continent entrave une réelle adaptation à l’Europe. Elle évoque la période d’occupation britannique de l’Érythrée avec son chef infirmier Ato Ghidey qui explique les différentes politiques scolaires (italiennes et britanniques). Les images insistent sur l’environnement professionnel (un dispensaire financé par l’ordre de Malte) et la maison de la Dottoressa Esilda au centre d’Asmara en utilisant des plans de coupe censés nous situer dans l’espace-temps. Des scènes collectives des anciens colons italiens ensablés en Érythrée sont également filmées dans la cathédrale d’Asmara. On y voit toute la communauté italienne d’Asmara de 1995 lors d’une messe dominicale. La Dotoressa Esilda est décédée en 2000. Les premiers entretiens sont de mauvaise qualité sonore en raison de la vétusté des cassettes numérisées mais le son du deuxième et troisième tempo est de meilleure qualité.

Ces images ont été tournées sur des crédits IREMAM et CNRS par Fabienne Le Houérou et sont soumises au régime général du droit d’auteur.