Geneviève Falgas
Les Français de Tunisie en images
Texte de communication au Séminaire doctoral de l'Institut de recherche et d’études du monde arabe et musulman (IREMAM) à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (MMSH), 17 mai 2010, Aix-en-Provence.
« Les Français de Tunisie en images d’après des albums de photos », le sujet ainsi posé est apparu très complexe dès le départ : de simples photos de famille peuvent-elles refléter l’histoire d’une communauté tout entière ? Peuvent-elles, en d’autres termes, nous aider à nous représenter la vie des Français de Tunisie à l’époque du protectorat ?
Pour tenter d’y répondre, une introduction précisera l’origine des sources, c’est-à -dire du corpus de photos sur lequel repose cette étude.
Puis, dans une deuxième partie, seront présentées une sélection de ces photos.
Et en conclusion, nous serons amenés à dégager des pistes de réflexion sur la présence française en Tunisie entre 1881 et 1964.
Quelles sont ces sources et d’où proviennent-elles ?
Avec le temps, j’ai rassemblé plus de 700 photos. Cependant, elles se rapportent en grande partie au milieu agricole et on pourrait regretter à première vue le manque de variété dans l’origine de ces sources. En effet, la population agricole ne représentait que 10 à 12 % de l’ensemble de la population française de Tunisie, qui s’élevait à 180 000 personnes en 1956 – dernier recensement de la période du protectorat (250 000 pour la population totale européenne) [1]. Le reste, 80%, étant constitué de tous les corps de métiers qui relèvent habituellement de la vie en société : fonctionnaires, artisans, commerçants, professions libérales, militaires, etc.
Dans cet ensemble, on peut distinguer plusieurs séries de documents. Un premier fonds de plus de 400 photos provient d’une même famille, originaire de Lyon : elle resta, sur le long terme, de souche purement française, contractant des alliances avec des familles souvent originaires de Lyon. Claude Charmetant, le premier de cette famille à être venu en Tunisie en 1880[2], était un industriel soyeux[3], d’une aisance financière appréciable, qui cherchait des débouchés pour sa fabrication. Il sillonna le Maghreb, Tripoli, Djibouti, se faisant son propre représentant de commerce. Il apprécia particulièrement la Tunisie et y acheta un domaine de 200 hectares dans la région de Tunis – comme l’avaient fait, quelques années auparavant, la poignée de capitalistes venus dans ce pays dès que la France s’y fut implantée : la terre[4] passait pour être un bon placement dans cette nouvelle colonie. Ces premiers arrivants firent construire de belles demeures où ils venaient passer l’hiver comme ils allaient auparavant sur la Côte d’Azur, tout en gérant leurs affaires avant de retourner en France. La presse, par allusion à ce mode de vie, les appela les hiverneurs. Pour en revenir à Claude Charmetant, c’était un homme instruit, entreprenant, curieux de la connaissance du monde – il fut à l’origine de la Société de Géographie de Lyon – et appartenait à la bourgeoisie catholique lyonnaise où la tradition missionnaire était compatible avec la colonisation. Il adhérait certainement à l’air du temps, c’est-à -dire à la théorie de certains économistes français, tel Paul Leroy-Beaulieu qui prônait l’expansion coloniale : la vieille Europe, de civilisation ancienne, était appauvrie dans ses richesses naturelles et devait donc aller les chercher ailleurs, là où personne ne savait les exploiter, à condition que cette exploitation fût aussi profitable aux peuples colonisés[5]. Le Lyonnais ne vécut pas à demeure en Tunisie, mais il y installa deux de ses douze enfants : c’est un des fils[6] qui rassembla ces photos, les annotant avec soin.
Un second fonds de 250 photos environ provient, non plus des membres d’une seule famille, mais de Français d’origines diverses, implantés dans une même région agricole, à environ quatre-vingts kilomètres au sud de Tunis, où furent créés quelques-uns de ce que la direction (ministère) de l’Agriculture en Tunisie appela des « villages de colonisation[7] » : je reviendrai plus loin sur ces villages.
Enfin, un troisième fonds très disparate d’environ 100 photos, vient apporter une certaine diversité dans l’origine des sources, émanant de milieux plus divers : militaires, fonctionnaires, artisans, employés de sociétés, etc.
Tout compte fait, cet ensemble de 700 photos présente des sources plus diversifiées qu’il n’y paraissait au départ.
De quoi témoignent-elles ?
Les photos du premier fonds retracent la vie d’une famille, suivant le titre donné, en première page de l’album, par celui qui les a rassemblées et annotées : « Souvenirs de Tunisie. Nos peines et nos joies ». Et plus bas, il précise : « Notre habitat et scènes de notre vie en Tunisie de 1913 à 1964. Ces photos portent témoignage de ce que furent pendant cette période nos activités familiales et professionnelles [8]». C’est donc une chronique que retracent ces « images », racontant l’implantation d’une famille devenue très nombreuse, parlant des lieux où se sont établis successivement les uns et les autres, montrant les saisons et le temps qui passe, jusqu’à la fin de cette existence familiale en Tunisie.
Pour le deuxième fonds, c’est plutôt une vie sociale collective qui se dégage des trois-quarts des photos consultées : celle que menaient les Français dans ces « villages de colonisation », à l’occasion surtout des festivités qui jalonnaient la vie quotidienne, alors que le temps des travaux les dispersaient dans leurs fermes.
Ces deux premiers fonds présentent aussi des photos qui illustrent certains aspects de la vie à Tunis, entrouvrant des portes par lesquelles on devine, pour ceux qui vivaient à l’intérieur des terres, d’autres habitudes, d’autres manières de vivre quand ils venaient dans la capitale, et qui rejoignaient celles des habitants européens de Tunis.
Quant au troisième fonds, celui qui comporte une centaine de documents d’origines diverses, souvent sans lien les uns avec les autres – au contraire des deux premiers fonds – on relève une série particulièrement intéressante : des photos de propagande en faveur du peuplement français en Tunisie, et dont la signification est tout à fait différente de celle des autres photos étudiées. Elles proviennent de la collection Jules Saurin : ce dernier était arrivé en Tunisie en 1887 comme professeur au « Lycée de Tunis »[9], mais il prit vite une autre voie. Comme lui-même n’avait pas d’argent, il réunit des actionnaires, en France, créa en Tunisie une société « Les Fermes Françaises », acheta des domaines, ensuite divisés en lots (allotis) pour les louer à des métayers[10] qu’il espérait faire venir de France. Seulement cette immigration tant espérée tardait à arriver[11]. En attendant, le temps pressait, il fallait un jour ou l’autre rendre des comptes aux actionnaires et leur donner les intérêts prévus : de là cette propagande. Il fit prendre des photos, dont les meilleures furent reproduites en cartes postales, pour diffuser au mieux le visage – idyllique – d’une existence d’agriculteur dans cette nouvelle terre française.
Cependant, avant d’aborder la deuxième partie de cette présentation, il faut faire une remarque : la vie des Français en Tunisie s’était inscrite dans le cadre du protectorat. Or les photos des albums privés ne montrent pas – ou très peu – les structures administratives et économiques qui en furent les assises : un autre ensemble, un autre corpus apporte cette documentation indispensable, et que j’ai, ici, utilisé de temps à autre : les cartes postales. Elles constituent en quelque sorte le deuxième volet de ces images qui nous parlent des « Français de Tunisie ». Les cartes postales forment un grand livre qui donnent à voir l’édification politique et matérielle de ce protectorat : construction des bâtiments administratifs et autres : contrôles civils, postes, municipalités, hôpitaux etc., et toutes les structures nécessaires à la vie économique : routes et ponts, ports, phares, et voies ferrées, marchés, silos, bâtiments industriels. Par ailleurs, l’implantation militaire était importante dans le pays, ce que ne montrent pas les photos de ces albums : casernes, scènes de la vie militaire. De plus, elles font valoir abondamment la diversité des sites naturels qu’offre le pays, le côté orientaliste de son architecture et l’exotisme d’un peuple autochtone si différent des Européens. L’époque était à la découverte du monde, à l’acquisition des connaissances dans tous les domaines – géographie, botanique, ethnologie et autres sciences naturelles – en même temps qu’à la constitution et à la glorification des empires coloniaux.
On en revient à la question initiale : à partir de ces photos peut-on se représenter la vie des Français qui vécurent en Tunisie à l’époque du protectorat (1881-1956) ? La réponse doit être nuancée du fait qu’il faut pour y répondre réunir plusieurs conditions.
En premier lieu, il y a la question délicate du choix des photos : pourquoi celle-ci plutôt que telle autre ? De ce choix, en effet, dépendent les différents éléments de réponse à la question posée par le sujet. Et, dans le domaine de l’histoire, cette sélection peut entraîner des interprétations plus ou moins conformes à ce que fut la réalité – encore qu’au sujet de cette vérité il y aurait beaucoup à dire : il peut y avoir en effet autant de points de vue qu’il y a d’observateurs. Pour en revenir au choix des photos, le piège qui guette est de donner trop d’importance à un cliché dont le thème serait abondamment représenté dans les séries de photos consultées, ou, à l’inverse, de passer sous silence un autre document plus important pour cette connaissance. La qualité des photos aussi, prises par des amateurs et donc pas forcément réussies, risque de déterminer ce choix – plus ou moins consciemment : une belle prise de vue peut primer sur l’intérêt qu’elle présente.
Ensuite, comment choisir puisque les photos en elles-mêmes ne racontent pas grand-chose, ne montrant que des fragments de vie, détachés les uns des autres ? Elles ne sont en fait qu’une des « voix qui nous viennent du passé », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Philippe Joutard, paru en 1983[12].
D’autres « voix » doivent être écoutées pour ressusciter la vie quotidienne : celles que délivrent les témoignages oraux de ceux qui sont encore vivants et les récits conservés au sein des familles, souvenirs inédits ou imprimés à compte d’auteur pour une diffusion très restreinte, correspondance, carnets intimes[13]… Si on ne dispose pas de ce matériau brut, on risque de passer à côté du sens de ces documents familiaux. Encore qu’il faille se méfier de ces témoignages, suivant en cela la mise en garde de Pierre Nora : « La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants et, à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives »[14]. Il ne reste donc souvent dans les témoignages que des pics de connaissance, qu’il importe ensuite d’interpréter, après les avoir triés. Mais, comme l’écrivent les historiens Jean Tulard et Guy Thuillier, cette décantation ne peut se faire sans une bonne compréhension du milieu étudié, née d’une certaine familiarité du chercheur avec ce milieu[15].
Enfin, pour que toutes ces « voix » puissent conduire à des informations plus générales, si tant est qu’on y arrive, il est nécessaire de connaître aussi le contexte historique dans lequel se sont inscrites ces vies d’hommes illustrées par les « images ». C’est ce contexte qui contribue à en faire aujourd’hui des sources documentaires signifiantes, même si elles restent très incomplètes.
Présentation d’une sélection de photos
Si ces photos[16] ne peuvent pas en elles-mêmes délivrer plus d’informations générales qu’elles n’en recèlent, de par leur nature fragmentaire, elles mettent néanmoins en relief certains aspects de l’existence de cette société coloniale aux multiples facettes. Lesquels ?
On peut, sans trop entrer dans le détail, dégager le grand thème illustré par ces photos : la vie dans les campagnes, en toute logique puisqu’elles émanent surtout du monde agricole.
Avant d’aller plus loin, il faut revenir aux photos appartenant à la collection Jules Saurin, qui sont, comme on l’a vu, des documents de propagande, loin certainement des intentions intimistes des albums privés destinés aux seules familles. Pourquoi peut-on parler de « photos de propagande » sans risque de tomber dans l’interprétation abusive ? Tout simplement parce que les cartes postales (tirées des photos) sont sous-titrées d’un bandeau significatif, renforcé par la redondance des majuscules – ainsi que le montre la carte postale suivante : « Le Peuplement Français de l’Afrique du Nord est l’Œuvre Nationale de la France au XXe siècle ». Saurin s’adressait en premier lieu aux petits paysans touchés de plein fouet par l’exode rural à la fin du XIXe siècle. Il leur disait, dans les conférences qu’il faisait en France[17], qu’en venant comme agriculteurs en Tunisie, ils travaillaient pour la grandeur de la France, n’hésitant pas à se servir du sentiment patriotique pour ses intérêts personnels.
Avec ces prises de vue, il leur délivrait un message qu’on pourrait qualifier de subliminal, leur faisant miroiter des conditions d’existence séduisantes dans le nouveau pays : des petites fermes rapidement construites par les premiers installés, et dont les terres pouvaient nourrir des troupeaux opulents, où puits et abreuvoirs en plein champ ne manquaient pas, comme les ouvriers pour ramasser les foins. Ces terres produisaient en abondance des céréales, de la vigne, et le travail, dans l’agriculture qui commençait à se mécaniser, était moins pénible.
Une de ces photos, datée de 1897, mérite une attention particulière, portant au revers l’inscription suivante : « Jules Saurin avec ses collègues ». Ces « collègues » emplumés, juchés sur leur char à banc, ne sont-ils pas ses associés, ses actionnaires, venus de France voir ce que Saurin faisait de leur argent ? Il semble qu’au premier plan, plus rustiquement vêtus – entourant Jules Saurin – figurent les métayers qui faisaient marcher le système en courbant l’échine[18]. Mais ce ne sont là que des conjectures.
Quant aux photos d’albums relatives à la vie dans les campagnes, et destinées à la seule histoire familiale, elles donnent à voir l’évolution progressive des conditions d’existence, des méthodes et des moyens de culture : on passe de la traction animale – moissonneuse et transport du fourrage – au matériel mécanisé ; des installations rudimentaires aux fermes construites en dur, souvent de modeste apparence, parfois plus importantes, où la réussite fut plus affirmée. Beaucoup des petits agriculteurs du début du protectorat, par manque de trésorerie, échouèrent et vendirent leurs terres à ceux qui avaient mieux résisté permettant, pour certains, la constitution de grands domaines.
Des territoires entiers furent défrichés, débarrassés des racines tenaces des jujubiers[19], mis en culture. La Tunisie, dans la seconde moitié du XIXe siècle, avait connu une période de récession sans précédent, dans sa démographie et son économie. Les fellahs et les tribus de l’intérieur du pays ne pratiquaient plus qu’une petite agriculture vivrière tout juste suffisante à leur subsistance, laissant une grande partie des campagnes à la brousse. C’est cette faiblesse qui attisa la convoitise des grands pays européens. Pour revenir à nos photographes amateurs, ils fixaient sur la pellicule les activités les plus diverses comme la tonte des moutons, montrant le bétail et les plantations : oliviers, vigne, amandiers ; l’édification de caves ou d’huileries. On les sent par ailleurs attentifs et sensibles à leur environnement : figurent souvent aussi les paysages proches des fermes, y compris quand ils servaient de cadre à des événements particuliers comme le séjour des oiseaux migrateurs, ou les dégâts occasionnés par les aléas climatiques : inondation ou ravinements dus aux orages. On trouve également, au fur et à mesure de cette consultation, un autre sujet traité : les photos relatives, parfois, aux petits fellahs voisins ; plus souvent aux ouvriers des fermes. Ces derniers étaient recrutés parmi les sédentaires, mais aussi dans la population des tribus qui peuplaient l’intérieur du pays.
Jusqu’en 1930 à peu près, la direction de l’Agriculture créa, pour faciliter l’implantation d’agriculteurs aux moyens limités, des « lotissements de colonisation ». Ces derniers comprenaient les terres destinées à la culture, divisées en « lots » d’une centaine d’hectares chacun[20], et qui allaient de pair avec la création d’un « village de colonisation ». Il s’agissait de centres édifiés de toutes pièces à l’installation des agriculteurs quand il n’existait auparavant aucune agglomération. S’y construisirent peu à peu les structures nécessaires au travail des agriculteurs comme des silos coopératifs, puis les bâtiments tels que gare, bureau de poste, rues, église et salle de réunion ou des fêtes. Au long des rues s’élevèrent des demeures privées. Plus tard, entre 1920 et 1930, furent édifiés des monuments aux Morts. Dans ces centres avaient lieu des marchés hebdomadaires, importants sur le plan du commerce local, en particulier pour la vente des moutons. Des commerçants, des artisans – là , les photos sont rares – nécessaires à la vie agricole, s’y fixèrent également, ainsi que d’autres Européens – surtout Italiens, Maltais, quelques Polonais, Russes blancs, Espagnols… qui, avec le temps, furent peu à peu naturalisés. Ces Européens, Français compris, contractaient facilement entre eux des alliances matrimoniales. Une population tunisienne se fixa à la ceinture de ces centres pour trouver de l’embauche. On trouvait parmi cette population des commerçants, les Djerbiens, qui implantèrent leur négoce au sein des villages. Les photos du deuxième fonds étudié se rapportent surtout aux villages de Bou-Arada, El Aroussa, Pont du Fahs, Le Goubellat, tous voisins les uns des autres, et dont j’ai déjà précisé la situation géographique, à quelque 80 kilomètres au sud de Tunis.
Beaucoup de ces petites agglomérations veillaient de près sur les écoles primaires qui y furent implantées, les enfants constituant la vigueur future de cette communauté fortement minoritaire[21]. On trouve beaucoup de ces photos d’écoles et de classes dans les albums privés. Pour permettre aux petits tunisiens d’intégrer l’école française et laïque, furent créées les écoles franco-arabes, où l’enseignement se faisait dans les deux langues. Seulement, dans la pratique, peu d’élèves arrivaient à acquérir une maîtrise du français suffisante pour leur permettre d’aller plus loin ; beaucoup aussi, faute d’aide financière, restaient au bord du chemin, parmi ces populations pauvres de l’intérieur du pays. Ici ou là on trouve quelques écoles dites « mixtes ». Souvent, et pendant longtemps, les instituteurs de ces centres agricoles tinrent l’agence postale créée sur les lieux.
Ces photos de la vie dans les campagnes sont devenues – comme toutes celles du temps du protectorat – des archives historiques : que nous apportent-elles aujourd’hui dans la connaissance de cette population agricole française en Tunisie?
Sans perdre de vue qu’elles sont avant tout une chronique intime ne prétendant à aucun message, ces photos évoquent pendant près de quatre-vingts ans l’histoire économique des campagnes tunisiennes, dont les agriculteurs français furent les principaux acteurs : nombreuses sont encore aujourd’hui les fermes aux toits rouges qui marquent le paysage rural tunisien, en particulier dans le nord et le centre du pays – même si la plupart d’entre elles sont en ruines aujourd’hui.
Par ailleurs, certains de ces villages de colonisation, créés pour les agriculteurs et par tous les artisans et commerçants qui vivaient autour d’eux, sont devenus des villes : les photos des albums de famille racontent les origines de ces villes. Ainsi pour Bou-Arada (gouvernorat de Téboursouk), qui compte aujourd’hui quinze mille habitants, alors qu’un recensement de 1950 y dénombre 213 Français, 40 étrangers et 1570 Tunisiens[22]. Ces Français du protectorat eurent aussi leur part dans l’évolution urbaine à l’intérieur du pays[23].
Mais ces photos, de par leur abondance même et la variété des sujets qu’elles présentent, parlent aussi sur le plan humain. On y comprend l’attachement profond de ces hommes à la terre qu’ils cultivaient, aux paysages dans lesquels s’était inscrite leur existence – et qu’il leur fut si dur de quitter, le moment venu de l’indépendance : les témoignages oraux et les récits que les uns et les autres ont laissé prouvent abondamment cet attachement[24].
D’une manière plus générale, et bien au-delà de ces considérations humaines, la connaissance du contexte historique rappelle l’importance du monde agricole dans l’édification du protectorat français, qui reposa au départ sur deux piliers : les fonctionnaires, qui organisèrent le cadre politique et administratif du protectorat, et les agriculteurs qui en furent les acteurs économiques tout en prenant possession du pays en profondeur, malgré leur nombre restreint[25].
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Un deuxième thème se retrouve dans un grand nombre de photos : au fil des jours, le temps des fêtes et des loisirs venait ponctuer le temps du travail. Dans ces centres où vivaient les Français, les lieux de sociabilité étaient nombreux, comme les cafés, brasseries, salles de réunion[26]. Dès que les petits villages de l’ancien contrôle civil de Medjez-el-Bab, cités plus haut, furent organisés en communes, ils créèrent des comités des fêtes particulièrement dynamiques : « Le premier de l’An, Carnaval, Pâques, Pentecôte, le 14 juillet, le 15 août, fêtes religieuses et fêtes profanes, commémorations en tous genres, étaient autant de prétextes festifs[27] ».
Aux bals, banquets, après-midi récréatives, représentations théâtrales se joignaient de nombreuses associations sportives qui s’affrontaient en matchs et concours de toutes sortes : football, pétanque, vélo, tir, rallyes automobiles. Parfois le curé du lieu organisait une chorale qui s’en allait chanter dans les centres environnants. Les villages ces jours-là rassemblaient non seulement les agriculteurs qui vivaient habituellement isolés dans leurs fermes, mais tous les Européens habitant la région ainsi que les notables tunisiens s’ils en avaient le désir[28]. Les nombreux témoignages existants, écrits et oraux, montrent que partout à l’intérieur du pays, en dehors de ces petits villages et quelle que soit leur situation géographique, les Français s’étaient organisés de la même manière.
On peut s’interroger sur ce consensus local qui faisait des jours de fêtes des moments de rassemblement entre Européens, au-delà de la simple appartenance française – d’autant plus qu’on peut remarquer l’absence d’associations régionales folkloriques, qui n’existaient que dans la capitale[29]. Ces jours-là , toutes les origines européennes se confondaient, inconsciemment peut-être à la recherche d’une autre identité, tirée du présent et non du passé – puisque le passé n’existait pas dans ces « villages de colonisation », ou ailleurs en Tunisie pour la majorité des Français[30] qui y résidaient. Pour citer Maurice Agulhon, la vie associative, dans ce contexte local, n’est-elle pas « d’autant plus active qu’elle est […] le seul moyen pour créer un tissu social et une identité locale » ? Elle a certainement été, en reprenant encore Maurice Agulhon, « un support précieux pour matérialiser une identité communale » qui s’est réellement forgée sur la durée : témoins ces innombrables associations de rapatriés[31] constituées autour de leur lieu de vie en Tunisie. Elles perdurent[32] depuis plus de cinquante ans, rassemblant ces « Français » de toutes origines, et dont le souvenir de la vie d’autrefois est le point identitaire, commun à tous.
Au sein des familles, et non plus cette fois au niveau de la collectivité, on trouve, dans ces fonds photographiques, de nombreux documents se rapportant à une habitude du temps des loisirs particulièrement prisée : les pique-niques, au premier rang desquels, le plus traditionnel, celui du lundi de Pâques. Mais il n’y avait pas que dans les campagnes qu’on organisait ce genre de réunions amicales. Toutes les catégories sociales, toutes les associations folkloriques de la capitale en organisaient également, en particulier lors de leurs sorties annuelles pour ces dernières[33]. Les pique-niques se déroulaient simplement, tous les participants s’asseyant sur des nappes étalées par terre. C’était par contre autour de paniers abondamment garnis !
À ces occasions, on pratiquait une sorte de petit « tourisme » local – sans le mot, qui n’était pas alors en usage dans ce contexte. Au début des années 50, on allait voir en particulier l’un ou l’autre des barrages en construction sur le cours de l’oued Medjerda, ou de ses affluents, tel le barrage de Ben Métir. Ou bien on visitait quelque site romain comme il y en a tant, et de si grandioses, dans ce pays, suivant le lieu le plus proche des participants. Par exemple, la ville de Tuburbo Majus, ou encore celle de Dougga : son magnifique théâtre antique servait de cadre aux pièces du répertoire français, et c’était à chaque fois des événements culturels d’importance. Chacun baignait dès le plus jeune âge dans l’histoire de Rome et de Carthage, car les vestiges de l’Antiquité faisant partie du paysage tunisien.
Parfois certaines familles – mais ce n’était pas la généralité[34] – poussées par le désir de mieux connaître la Tunisie, élargissaient leur champ de curiosité et organisaient de véritables voyages de découverte à travers le pays, surtout dans le sud tunisien. Les photos retrouvées sur ce thème datent, pour les plus anciennes, du début des années trente. Les voyageurs fixaient sur la pellicule les vastes étendues désertiques, pour en garder le souvenir, en même temps que les haltes dans les oasis. Sur une photo, on voit une de ces familles dans un hôtel de Tozeur ; sur une autre, c’est le ramassage des dattes, montrant les cueilleurs agrippés tout au long du tronc, de manière à se passer les régimes de dattes sans avoir à les jeter du haut de l’arbre – ce qui les aurait endommagés. On y voit aussi comment dans les années trente, les voitures franchissaient le bras de mer entre Gabès et l’île de Djerba : sur deux barques attachées ensemble avec le véhicule au milieu. Ces voyageurs s’intéressaient à la vie des populations qu’ils découvraient au cours de ces périples. Par exemple, un mariage, si typique dans les tribus du sud, avec la mariée entièrement dissimulée dans un palanquin ; une fantasia, avec ses couleurs et ses mouvements, ou encore un charmeur de serpents. Ils appréciaient les paysages, les hommes et leurs coutumes dans l’authenticité de la vie quotidienne, bien loin des scènes de genre fabriquées pour les touristes[35]. Si on trouve des témoignages sur ces voyages chez les agriculteurs, ils semblent avoir été plus fréquents dans les familles de fonctionnaires[36].
Le temps des loisirs était aussi marqué par les séjours que faisait la parenté venue de France dans leurs familles en Tunisie – pour ceux qui avaient conservé ces liens familiaux. C’était alors l’occasion de leur faire connaître l’une ou l’autre des régions du pays, que souvent ces Français de Tunisie découvraient en même temps que leurs invités. Un certain nombre de photos témoignent de ce type de découvertes touristiques : sur l’une, on voit la famille venue de France en train de visiter le capitole de Dougga ; sur une autre, ce sont les remparts de la ville d’Hammamet qui sont l’objet de la visite.
Avant d’aborder un autre thème, il convient de souligner que la presque totalité des photos relatives au temps des fêtes et des loisirs, provient du milieu agricole et des villages de colonisation. Ces photos nous donnent à voir un certain art de vivre à la française, le plus souvent communautaire, très implanté dans la géographie du pays, et sans aucune expression nostalgique au regard de lointaines origines familiales, de France ou d’ailleurs. Leur passé d’avant l’immigration, au fur et à mesure que les générations se succédaient sur le sol tunisien, s’effaçait au profit de ce qui s’était construit en Tunisie.
Dans ces fonds photographiques – davantage dans celui de la famille lyonnaise – on relève des photos non cantonnées à la vie des campagnes, et qui sont à observer de plus près parce qu’elles abordent un sujet récurrent : les manifestations religieuses. Elles étaient peut-être les occasions qui rassemblaient le plus ces Européens. L’Eglise était puissante en Tunisie et exerçait son emprise sur la plupart des Français, mais surtout sur deux populations particulièrement attachées à la religion catholique, les Italiens et les Maltais. On ne peut pas ici retracer cette histoire, car elle est trop dense pour trouver place dans cette présentation. Elle a en effet ses racines dans les premiers siècles de notre ère. Il suffit de rappeler qu’à l’époque du protectorat, chaque centre où vécurent des Français et des Européens, chaque petit village, fut doté d’une église, imposante ou discrète. Bon nombre de ces constructions figurent dans les photos consultées[37], comme les deux petites églises de Bou-Arada et de Ben Métir, là où fut construit le barrage évoqué précédemment. Deux grands édifices dominèrent le paysage catholique en Tunisie : la cathédrale Saint-Paul et Sainte-Olive[38] de Tunis et la primatiale Saint-Louis de Carthage[39], où avaient lieu de grandes processions qui rassemblaient des foules compactes. Par exemple, la procession annuelle en l’honneur des saintes Perpétue et Félicité, martyrisées sur ces lieux mêmes, jetées aux fauves en mars 203 après Jésus-Christ. Les cérémonies de mariage, les jours de confirmation et de communion, sont abondamment fixés sur la pellicule pour figurer dans la mémoire des familles comme des moments importants de leur vie. Les écoles privées catholiques étaient nombreuses dans le pays. Toutes sortes d’œuvres avaient été fondées sous le patronage de l’Eglise : celles d’abord relatives à l’encadrement de la jeunesse, scouts, enfants de Marie, etc., celles relatives aux œuvres éducatives, comme les ateliers d’apprentissage pour les fillettes et les jeunes filles, ou charitables : orphelinats, maisons d’accueil pour les pauvres, ou établissements de soins, qui s’adressaient à tous les miséreux, à tous les malheureux, regroupés par confessions[40].
Au mois de mai 1930 eut lieu un événement retentissant : le Congrès eucharistique international, qui se déroula à Carthage, suivi avec dévotion par les uns, au grand mécontentement des autres : les laïcs, les socialistes et les Francs-maçons européens comme les nationalistes tunisiens et une partie du peuple dénoncèrent un envahissement ostentatoire de l’espace public par les catholiques. Dans le corpus des 700 documents qui ont servi pour cette étude, trois photos seulement témoignent de l’événement alors qu’il fit grand bruit dans la presse, et dans le pays tout entier. La première montre la procession des enfants, dont l’uniforme évoque celui des croisés de Saint-Louis débarqué à Carthage – où il mourut en 1270 – dans le but de convertir le sultan de l’époque. La seconde donne une idée de l’ampleur de ce congrès où des délégations vinrent de toutes parts, comme la délégation belge avec ses drapeaux et ses oriflammes. Enfin la troisième montre le défilé des prêtres et religieux anciens combattants de la guerre de 1914, les poitrines bardées de médailles.
Par contre, ces fonds photographiques sont très pauvres en photos qui évoquent le lieu le plus important de la vie des Français dans ce pays : Tunis, la capitale, vers laquelle tout convergeait. Et il nous faut faire appel aux cartes postales pour en illustrer les bâtiments et le cadre architectural qu’elle constituait pour les activités et la vie des hommes. Il y avait d’abord le siège du gouvernement du protectorat, la Résidence générale, avec les ministères, appelés en Tunisie « directions », dont certaines se trouvaient dans la ville ancienne[41], comme celle des Finances, y compris le palais de Justice. Dans la capitale se concentraient tous les établissements bancaires comme le Crédit Lyonnais, les sièges des compagnies d’assurances, les compagnies pétrolières [42]. S’y concentraient également les métiers de la vie commerçante et artisanale, les grands hôtels, à l’image du Majestic, l’un des plus beaux. Dans la capitale, se traitaient la plupart des affaires, et, du port, s’en allaient les navires marchands chargés de phosphates, de céréales ou autres, comme les beaux transatlantiques qui faisaient traverser la mer aux vacanciers de l’été. Tunis comptait les grands hôpitaux du pays et les établissements de soins les plus divers, avec une place spéciale pour les centres de recherche comme l’Institut Pasteur[43]. La concentration de ces établissements et organismes importants donnaient lieu, comme dans toutes les capitales, à une vie sociale faite de réunions de travail, de foires internationales, qui se terminaient par des réceptions et des banquets, souvent autour du Résident général.
Toute la vie officielle du protectorat se déroulait aussi dans la capitale : défilés militaires des 11 novembre et 14 juillet, réceptions de chefs d’Etats étrangers, auxquelles étaient conviés en grande tenue tous les consuls présents à Tunis, messes consulaires[44], processions catholiques solennelles. Les réceptions qui revêtaient le plus de faste étaient les visites des Présidents de la République française, en particulier celle que fit Gaston Doumergue en 1931, pour la commémoration du Cinquantenaire du Protectorat (1881-1931), et qui le conduisit jusqu’à Zarzis dans le sud tunisien.
Tunis comptait de nombreuses écoles, certaines prestigieuses, comme l’Ecole coloniale d’Agriculture, des lycées classiques et collèges techniques, des instituts confessionnels de toutes sortes : les adolescents, une fois terminée l’école primaire dans les villages et les petites villes de l’intérieur, y poursuivaient leur scolarité. La vie culturelle y fleurissait en un large éventail de manifestations. A l’exception de quelques villes importantes comme Sfax, Sousse ou Bizerte, tout partait de la capitale, tout finissait par arriver à la capitale – cette ville double, dont les Français et les Européens construisirent la partie moderne, accolée à la ville ancienne et qui toutes deux communiquaient par la Porte de France. De cette dernière, partaient l’avenue de France, puis l’avenue Jules Ferry[45], qui se prolongeaient jusqu’au port sur à peu près deux kilomètres.
Après le temps du travail et des affaires, Tunis avait ses lieux rituels pour les moments de loisir ou de repos : le long terre-plein de l’avenue Jules Ferry, ombragé par quatre rangées parallèles de ficus pleins d’oiseaux, où se promenait tout Tunis, le parc du Belvédère au haut de la ville, le grand théâtre Art Nouveau, les cinémas tels le Palmarium, connu de tous ceux qui ont vécu à Tunis, et puis le fameux TGM, le train toujours bondé qui, traversant le lac de Tunis semblait rouler sur l’eau et conduisait vers les bords de mer pour les bains, les promenades, les moments passés en famille sur le sable – sans oublier qu’on fréquentait aussi les plages au sud de Tunis, comme Saint-Germain, aujourd’hui Ez Zarah. Le TGM reliait Tunis à ses plages nord, La Goulette, La Marsa (d’où ses initiales TGM), puis revenait en boucle vers la capitale. Il était une véritable institution pour tous ceux qui vivaient à Tunis ou y venaient, pour toutes les communautés, sans exception. Certains allaient s’y promener pour la journée. D’autres louaient un pied-à -terre pour le temps des vacances, d’autres encore possédaient des petites maisons sur ces bords de mer, ou des villas plus importantes. Non loin de Tunis, il y avait une station thermale, Korbous, très prisée, et dont les eaux curatives étaient connus depuis les Romains.
Dans la capitale résidait aussi l’Etat-major de l’armée, dont le siège était à Dar Hussein, un ancien palais du haut de la ville ancienne, qui devint l’Hôtel de la Division. L’armée en Tunisie était une division d’environ 10 000 hommes. Plusieurs casernes étaient établies à Tunis, notamment les casernes Saussier et Forgemol – du nom des généraux qui commandèrent la campagne de conquête de la Tunisie en 1881. Au haut de la médina également, pour loger les bureaux de l’administration militaire, fut construit en 1895 un bâtiment de trois étages[46], où venait travailler un nombreux personnel, hommes et femmes, comme d’ailleurs dans les autres casernes. Comme partout la vie sociale, chez les militaires, y était très organisée, marquant aussi les fêtes du calendrier. L’Etat-major quitta Tunis à l’indépendance pour s’installer à Salammbô, dans les environs de la capitale : les commémorations militaires avaient lieu désormais à l’intérieur du camp. Le 30 juillet 1958, l’Etat-major fut transféré à Bizerte, qui restait encore une grande base française et de l’OTAN[47], avec de nombreuses installations militaires et autant de casernes. Toujours en ce mois de juillet 1958, l’armée procéda au transfert du « soldat inconnu » dont la tombe avait été érigée en plein centre-ville, là même où avaient lieu tous les défilés. Il fut installé au cimetière militaire de Gammarth.
La vie des Français de Tunisie fut marquée, comme partout ailleurs, par les grands événements du monde. Quelques documents évoquent la Première Guerre mondiale, comme cette photo de soldats incorporés dans l’armée d’Orient, Français et Nord-Africains ensemble, qui firent la guerre dans les Balkans, en 1917, après l’avoir faite sur le front occidental. Le texte écrit au verso témoigne d’une tranche de vie quotidienne.
On trouve aussi, dans ces albums de famille, l’évocation de certains épisodes de la Seconde Guerre mondiale, entre le débarquement anglo-américain de novembre 1942 sur les côtes du Maroc et d’Algérie, et la défaite germano-italienne en mai 1943, six mois plus tard. Des photos de ces albums rappellent la campagne de Tunisie, souvent oubliée aujourd’hui, mais qui fut meurtrière, causa beaucoup de destructions et mit l’économie du pays à genoux. L’une d’elle montre les armées dans la plaine de Medjez-el-Bab, où se déroula une grande bataille en janvier 1943 ; une autre est une vue du village de Bou-Arada, près de Medjez, qui venait de subir de lourds bombardements ; une troisième a fixé le temps de la victoire, celui où les soldats sont fêtés par la population des villages libérés.
Cette campagne de Tunisie marqua, à la suite de Stalingrad (février 1943), un tournant décisif vers la victoire finale des armées alliées. Ces dernières, au début du mois de mai 1943, obtinrent la reddition de 200000 hommes avec tout leur matériel. Les prisonniers de guerre allemands furent envoyés dans les fermes en particulier pour aider à réparer les dommages causés par la guerre. Le 20 mai, il y eut à Tunis un grandiose défilé de la Victoire. Les cimetières militaires qui parsèment la Tunisie sont les témoins de ces heures sombres. Le plus grand d’entre eux, relatif à la Seconde Guerre mondiale, est situé à Gammarth : 2000 soldats[48] y reposent dans un cadre saisissant, en surplomb de la baie de Carthage.
Et puis, les Français de Tunisie, comme tous ceux des autres colonies, furent emportés par l’un des événements majeurs qui marquèrent l’Occident au XXe siècle : la décolonisation. En Tunisie et au Maroc – contrairement à une idée reçue – elle n’eut rien de pacifique[49]. Les agriculteurs, isolés dans les campagnes, furent des cibles privilégiées, que l’armée tenta un temps de protéger : assassinats et sabotages en tous genres les éprouvèrent. Les Français furent plus de 60000 à quitter la Tunisie au cours de l’année 1956-1957. Cependant, la majeure partie des départs s’échelonna à peu près sur huit années. Les circonstances qui les déterminèrent furent multiples. Beaucoup eurent le temps de préparer leur départ, comme en témoigne la courte légende qui accompagne une photo : « Adieux à la Tunisie ». C’était le dernier tour d’horizon d’un vieux couple qui s’en allait. Certains autres, partis pour un temps de vacances en France sans intention de quitter le pays, ne revinrent pas. Sur une autre photo, la jeune fille qui sourit sur le pont du navire, au mois de juillet 1958, ne se doutait pas que ce voyage serait sans retour. Enfin, parmi ceux qui restèrent le plus longtemps possible, une bonne partie quitta le pays dans la précipitation, soit lors de « l’affaire de Bizerte », à la fin de l’année 1961, soit à la nationalisation des terres en 1964.
L’avènement de l’indépendance amena, entre autres, la suppression des symboles de la présence française, tels les monuments aux Morts. D’après les nombreux témoignages, écrits ou oraux, faits par la suite, l’un des « effacements » les plus douloureux pour ces Français fut la désaffectation des cimetières : ceux qui le purent financièrement firent transférer leurs défunts en France.
Entre 1956 et 1964, la presque totalité des 180000 Français de Tunisie avaient quitté le pays.
ConclusionÂ
Quelles réflexions ces photos nous inspirent-elles sur cette présence française en Tunisie ?
Ce que l’on peut remarquer en premier lieu – et c’est vrai pour les trois pays du Maghreb – comme l’a formulé Jacques Frémeaux, à l’occasion du Colloque sur « Marseille et le choc des décolonisations » qui s’est tenu en 1995 – c’est le fait que, venus de tous les coins de France et d’ailleurs, « Français de souche » ou naturalisés, ils avaient réussi à former des « sociétés relativement homogènes, avec leur culture propre, leurs lieux de vie, de sociabilité, leurs solidarités familiales »[50].
Ils avaient de plus, dans la proximité de la vie quotidienne, tissé des liens avec les populations tunisiennes, que ce soit dans les villes ou les campagnes. Quant aux relations dans les espaces publics urbains, elles étaient le plus souvent empreintes de tolérance : Nombreux sont les témoignages, écrits ou oraux, qui parlent de ces rapports entre communautés : «[…] à la fin des années vingt et au début des années trente, il fallait voir, à La Goulette, la journée et la procession du 15 août ! Là , il n’y avait plus ni nationalité, ni race, ni religion. Toute la ville était en fête ! Les cloches carillonnaient de bon matin […]. C’était la manifestation de sympathie, interconfessionnelle, des familles musulmanes et juives qui, le matin, faisaient porter des cierges à l’église, et de ces femmes non chrétiennes s’habillant de neuf, ce jour-là et saluant la Madone au passage, par de joyeux you-you »[51].
Par ailleurs, toutes les infrastructures administratives et économiques avaient été créées pour soutenir les français, les aider à s’installer durablement dans ce pays, et y faire souche. Ils étaient donc profondément ancrés dans le pays d’immigration, à la fois par leur position de communauté dominante, et par les liens personnels que beaucoup avaient tissés avec les Tunisiens[52].
Et pourtant, en dépit de cet ancrage fait de sentiments et d’attachement au pays, de la force économique qu’ils représentaient, de l’encadrement qu’ils assuraient dans tous les domaines, on ne peut qu’être frappé par la disparition rapide de ces sociétés dans les trois pays d’Afrique du Nord, où les Français avaient une communauté de destin. Lors du colloque de Marseille, déjà cité, les causes plus précises de cette disparition rapide ont été analysées :
– la disparition brutale de cette communauté, y est-il dit, comme celles du Maroc et encore plus d’Algérie, apparaît comme la conséquence logique d’une situation qui n’avait pas évolué : les Français d’Afrique du Nord – donc ceux de Tunisie, puisque c’est de cette communauté dont nous parlons – maintenaient leur manière de vivre sans voir que le système colonial qui avait permis son établissement en Tunisie était « incapable de prendre en charge les évolutions culturelles, démographiques et économiques que commençait à connaître le Maghreb »[53]. Le maintien de ces minorités qui détenaient tous les leviers de commande, politiques et économiques, était incompatible avec l’accession de ces pays à l’indépendance.
– Cette disparition s’explique ensuite par la rapidité des transitions : en quelques mois, pour la Tunisie et le Maroc, les Français de ces pays se retrouvèrent avec le statut d’étrangers, passant brusquement d’une souveraineté française à une souveraineté tunisienne, avec un sentiment d’abandon face à l’ampleur des changements.
– Et puis leurs intérêts matériels furent remis en question : à part les fonctionnaires, reclassés en France, les autres perdirent assez rapidement leurs moyens d’existence, les conditions de travail devenant de plus en plus difficiles sitôt l’indépendance proclamée. Pour les agriculteurs, le décret du 12 mai 1964 relatif à la nationalisation des terres appartenant aux étrangers eut raison des dernières résistances[54].
Ainsi, quelques années suffirent pour que disparaissent ces populations françaises établies au Maghreb : de 1955 à 1959, le gros des départs s’accomplit en Tunisie ; il fallut encore moins de temps au Maroc, et deux années seulement pour l’Algérie, avec un pic pendant l’été 1962.
Une autre question se pose : les Français de Tunisie auraient-ils pu organiser leur avenir sans être pris de court par les événements politiques qui se profilaient à l’horizon de leur présence même en Tunisie ? Il apparaît qu’ils furent peu nombreux ceux qui surent prévoir la suite, c’est-à -dire leur éviction de toutes les activités professionnelles et administratives de la Tunisie, le moment venu du terme inévitable du protectorat : l’indépendance. En fait, il y avait au sein de cette communauté une profonde méconnaissance de la réalité historique : un protectorat implique, plus clairement qu’un autre système colonial, l’accession à l’indépendance du pays « protégé », le jour où ce dernier aurait été suffisamment « accompagné » pour reprendre en main ses destinées. Cette absence de réalisme s’explique en partie par une certitude, anesthésiante, toujours exprimée par la France : quoi qu’il arrive, les Français de ce pays y verraient « grandir et prospérer leurs enfants et leurs petits-enfants ». Même les autorités tunisiennes, au moment de l’indépendance, leur adressèrent des paroles rassurantes[55]. Et puis, au sein des familles, la propre histoire de leur implantation en Tunisie, de véritables sagas, tenait lieu d’Histoire: les obstacles qu’il avait fallu vaincre, les difficultés qui en avaient fait plier plus d’un, renforçant les autres, tout ce qu’ils avaient construit, les terres défrichées et cultivées, les infrastructures implantées partout, justifiaient à leurs yeux leur pérennité dans ce pays. Il y avait aussi peut-être un autre trompe l’œil qui cachait la réalité de la situation politique : les relations paisibles et faites de tolérance que la plupart connaissaient dans une vie quotidienne partagée par tous ceux qui vivaient en Tunisie, en premier lieu avec les Tunisiens. Il faut lire ou entendre les récits de retrouvailles d’anciens Français de Tunisie, agriculteurs ou autres, avec leurs ouvriers ou leurs voisins d’autrefois, pour se convaincre de l’existence de ces relations. Mais c’était une chose que d’être bien avec ses ouvriers ou ses voisins, une autre de dissocier la réalité politique de cette vie quotidienne.
On pourrait aborder d’autres questions relatives à ces communautés françaises d’Afrique du Nord. La première d’entre elles – d’ailleurs formulée lors du colloque de Marseille, précédemment cité – consiste à se demander si les pays nouvellement indépendants, et donc la Tunisie, n’auraient pas eu intérêt à associer à la nouvelle donne politique cette population somme toute très peu nombreuse, 180000 personnes, à peine celle d’une ville de France comme Lille par exemple. Mais les Français qui, en près de quatre-vingts ans de présence, avaient mis le pays sur les chemins de la modernité, auraient-ils accepté le changement radical de situation qu’aurait impliqué cette coopération[56] ? Pourtant, forts de tout l’encadrement administratif et économique du pays, ils auraient peut-être facilité les transmissions – même si la Tunisie avait des élites prêtes à la relève – évitant, pour eux également, le déracinement d’un départ précipité. Par exemple, dans le registre du transfert des compétences et des savoirs, leur présence aurait peut-être évité l’expérience collectiviste menée dans l’agriculture par le ministre du Plan, Ahmed Ben Salah. Commencée avec le décret de nationalisation des terres appartenant aux étrangers le 14 mai 1964, cette expérience ébranla l’agriculture en profondeur et se termina en 1970 par de violentes réactions populaires. Le gouvernement fut obligé d’annuler du jour au lendemain cette politique de collectivisation[57] qui avait, entre-temps, désorganisé le secteur agricole.
Une autre question fut celle de leur « retour » en France qui se fit le plus souvent dans de mauvaises conditions, aucune politique de rapatriement n’ayant été prévue. En réalité, dès 1958, le Général De Gaulle refusait tout principe d’indemnisation, jugée trop lourde pour le budget national : le nombre total des rapatriés, en 1962, s’élevant à un million et demi de personnes[58], y compris le petit nombre des rapatriés d’Indochine (12000) et d’Egypte (9000)[59]. Ils en ressentirent un profond sentiment d’injustice à l’égard d’une mère patrie qui les laissait à leur propre sort – alors qu’elle avait su, rappelaient-ils, les inciter à partir outre-mer quand il fallait servir les intérêts de la colonisation, et les mobiliser pour la défendre lors des deux guerres mondiales[60]. Mis à part les fonctionnaires, les autres, commerçants, artisans, agriculteurs, professions libérales, furent invités par le gouvernement français de l’époque, soit à s’adapter à la nouvelle situation des pays indépendants, soit à partir vers la France où ils bénéficieraient, comme tous les Français, de facilités de crédit pour se refaire une situation en métropole. En réalité, ils n’eurent pas le choix et durent quitter la Tunisie.
Ainsi, il est possible de répondre à la question posée initialement : un corpus de photos peut aider à la connaissance de cette communauté française qui vécut en Tunisie à l’époque du protectorat – mais à condition qu’il soit éclairé par tout l’éventail des documents que l’on peut qualifier d’archives, par une bonne connaissance des circonstances historiques dans lesquelles vécut cette population, et par la prise en compte du fait que des photos, en général, montrent seulement des fragments de vie et non une existence tout entière.Â
Bibliographie
Témoignages de Français (ou de personnes d’origines diverses) ayant vécu en TunisieÂ
Publiés :
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Chouchan Pierre, La Ferme du juif, Paris, Edition Romillat, 1998, 278p.
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Ducurtil Florian, Historique d’un bled. Le Goubellat, Guinle Tunis, 1934, 114p.
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Iacoponelli-Caléca Claudine, Le Passé refleurit toujours comme les cyclamens du Bou-Kornine, Montpellier, Editions Mémoire de notre Temps, 2002, 195p.
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Spitéri Gérard, Bonheur d’exil, Paris, Collection Haute Enfance, Gallimard, 1998, 155p.
Stefano (di) Rosaire, A flanc de Bou-Kornine, Auto-édition Ragusa, Italie, 1985, 322p.
Inédits :Â
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Charmetant Claude, archives familiales rassemblées par Joseph Charmetant, 11 fascicules (environ 1000p.)
Chavent Augustin, L’Aventure tunisienne de la famille Augustin Chavent (1880-1960), environ 600p.
Escard Jean-Claude, Les Portes de France, Histoire de la famille Gandolphe (XVIIe-XXe siècle), 2009, 232p.
Golvin-Milon Janine, Chère et belle Tunisie, 2000, 160p.
Vallin Guy, Histoire d’une vie, 1995, 155p.
Ces bleds tunisiens d’où nous venons, Bou-Arada, Goubellat, El Aroussa, 2 fascicules, 2000, 120p.
SSBA, Société Sportive Bou-Aradienne, 2007, 10p.
Œuvre collective, Livre d’Or Massicault, 2005, 187p. + 63 pages d’annexes.
Œuvre collective dirigée par G. Regnet, date indéterminée (2000 ?), non paginé (à peu près 150p. avec nombreuses reproductions photographiques), Notre Tunisie, 1882-1964.
Manuscrits :
Drouet Paule, La Ferme de Sidi Ali El Attab, 2008, 150 pages (format A4)
Goussaud-Audebert Alice, Souvenirs(1895-1943), 1963, 30 pages format A4, témoignage oral retranscrit, daté et signé par le témoin après relecture
Lhospital Robert, Souvenirs, 1980 (10 cahiers d’écolier)
Penet-Crété Marguerite, Souvenirs (1886-1914), 1960, 30 pages (format A4).
Correspondances diverses et témoignages oraux relatifs à la vie quotidienne à l’époque du protectorat
Courts récits sur des événements précis, entre autres, conditions du départ de Tunisie en 1964.
Trois enquêtes d’opinion, la première, en 2002 (une centaine de réponses), relative entre autres au « retour » en France ; les deux autres relatives au tourisme en Tunisie à l’époque du protectorat : 2006 et 2009 (une cinquantaine de réponses).
Notes
[1] Statistiques démographiques, année 1956, CADN (Centre des Archives Diplomatiques de Nantes), Tunisie 1er Versement, PER 589, page 101.
[2] Un an avant l’établissement du Protectorat français en Tunisie.
[3] Claude Charmetant (1850-1912) a laissé d’abondantes archives familiales, en particulier des carnets de voyage et une correspondance importante, en quantité et en qualité. J’ai pu avoir accès à ces archives.
[4] La question des terres est toujours une question épineuse quand elle est incluse dans un système colonial. Je l’ai traitée dans ma thèse, Français de Tunisie : une France d’Outre-Mer dans le creuset tunisien, Université de Toulouse II Le Mirail, mai 2003.
[5] Paul Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, Paris Guillaumin, 1874, 616 pages.
L’ Algérie et la Tunisie, Paris Guillaumin 1887, 472 pages.
[6] Joseph Charmetant (1894 -1988). Il fut le 10e enfant de Claude Charmetant.
[7] Il y eut 14 villages de ce type, créés presque essentiellement dans la partie nord de la Tunisie. Certains végétèrent sans parvenir à se développer.
[8] Plus précisément ces photos, à de rares exceptions près, commencent en 1920.
[9] Futur Lycée Carnot.
[10] Trente-deux ans de colonisation, Société d’Editions Géographiques, Maritimes et Coloniales, Paris, 1931.
[11] La France ne fut jamais un pays d’émigration de masse.
[12] Philippe Joutard, Ces voix qui nous viennent du passé, Paris, Hachette, 1983.
[13] Voir liste bibliographique en annexe.
[14] Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, I – La République, Paris, Gallimard, 1984, pages XIX-XX.
[15] Guy Thuillier et Jean Tulard, La méthode en histoire, Collection Que sais-je ? PUF, Paris, édition corrigée 1993 (page 38).
[16] C’est un ensemble de 160 documents (photos et cartes postales) qui a accompagné cette communication.
[17] Il fit une série de conférences, dans plusieurs régions de France sur ce thème, rassemblées dans un ouvrage : Le Peuplement français en Tunisie, Challamel, Paris, 1910.
[18] D’après deux témoignages d’anciennes familles de ces métayers de Jules Saurin.
[19] Voir les Rapports, trimestriels puis semestriels, des contrôleurs civils à partir de 1885, Centre des Archives Diplomatiques de Nantes – CADN.
[20] Avec des facilités de crédit payables en dix annuités.
[21] Au dernier recensement de la période française en 1956, déjà cité en note 1, la population tunisienne s’élevait à 3 441 696 habitants, y compris 57 792 Israélites tunisiens ; la population française comprenait 180 440 personnes, et la population totale européenne, 255324 (in Statistiques démographiques, CADN, PER 589, pp. 100-101).
[22] Annuaire Tunisien du Commerce, de l’Industrie, de l’Agriculture et des Administrations de la Régence, 1950, Edition 1950-1951, 51e année, SAPI, Tunis, pp. 310-311.
[23] Comme ce fut le cas dans les autres villes du pays, où une ville européenne se construisit accolée à la ville existante : l’exemple le plus typique est celui de Tunis, la capitale.
[24] Voir liste bibliographique jointe en annexe.
[25]Geneviève Falgas, Français de Tunisie : une France d’Outre-Mer dans le creuset tunisien, thèse de doctorat, Université de Toulouse II Le Mirail, 2003.
[26] Dans les centres agricoles, elles portaient souvent le nom de « salle des colons », « Maison des agriculteurs », etc.
[27] Geneviève Falgas, Les Oies sauvages : une famille française en Tunisie (1885-1964), Paris, Editions L’Harmattan, 2009, 287 pages.
[28] Témoignage en particulier d’une « mémoire » de cette époque-là , Guy Vallin.
[29] Les associations des Bretons et des Corses furent les plus vigoureuses pendant la durée du protectorat.
[30] Certaines familles françaises avaient, en Tunisie, une histoire beaucoup plus ancienne que celles venues après l’établissement du Protectorat. Un consulat de France avait été établi dans la Régence de Tunis par Henri III, en 1577.
[31] L’une de ces associations les plus vigoureuses et actives est « la Diaspora Sfaxienne », qui regroupe les anciens habitants de la ville de Sfax et s’est également dotée depuis 1967d’un bulletin annuel.
[32] Bien qu’elles soient aujourd’hui près de leur fin, du fait que, par leur nature même, il n’y a pas de recrutement de jeunes pour assurer la relève.
[33] La consultation de La Dépêche Tunisienne, organe des Français en Tunisie à l’époque du protectorat, fournit de nombreux comptes rendus de ces manifestations (Centre des Archives Diplomatiques de Nantes, CADN).
[34] Ce désir de connaître la Tunisie a pu s’affirmer davantage quand plus de familles (en particulier dans les villes) possédèrent, vers le début des années cinquante, une automobile. Mais deux ans plus tard commençaient les événements politiques qui conduisirent rapidement à l’indépendance. Ce fut le coup d’arrêt de cet essor vers le tourisme intérieur.
[35] Témoignage oral recueilli au cours d’une conversation avec l’un des fournisseurs de ces photos (2007) qui revenait de Tunisie dans le cadre d’un voyage organisé.
[36] Suivant une enquête d’opinion que j’ai faite en 2006, en vue de journées d’études sur le thème du « développement du tourisme au Maghreb ».
[37] La revue Tunisie touristique, économique, artistique et littéraire, dans un numéro spécial (50 pages) daté d’octobre 1954, répertorie, photos à l’appui, toutes ces églises de Tunisie, y compris les écoles catholiques, les orphelinats, les ateliers de bonnes œuvres, les établissements de soins tenus par des religieux et des religieuses.
[38] Sainte Olive était une sainte italienne : le cardinal Lavigerie voulut associer symboliquement les deux communautés catholiques les plus importantes de Tunisie.
[39] « Saint-Louis de Carthage » reçut le nom de « primatiale » quand le cardinal Lavigerie fut fait par Rome « primat d’Afrique » – un des titres les plus prestigieux, ressuscité de l’Eglise antique, qui fut très florissante.
Le Modus Vivendi, signé en 1964 entre le Vatican et la Tunisie, réglait le sort de l’Eglise dans ce pays. Tous les biens ecclésiastiques furent transférés à la Tunisie, sauf l’église Jeanne D’Arc et la cathédrale, à Tunis. Saint-Louis de Carthage, restaurée, est devenue un auditorium de musique classique et méditerranéenne.
[40] De nombreuses congrégations religieuses avaient fondé ces œuvres de charité. Voir Abbé François Dornier, La vie des catholiques en Tunisie au fil des jours, Imprimerie Finzi, Tunis 2000, 650 pages.
[41] Dite aussi ville arabe ou médina.
[42] La plus importante étant la compagnie Purfina (devenue par la suite la compagnie Fina) : témoignage Chantal Dussouillez-Iannone, 2010.
[43] D’autres instituts de ce type étaient établis à Tunis notamment dans la recherche agronomique (culture des céréales, de la vigne / vinification, ovins et bovins, etc.).
[44] Les messes consulaires, dites concordataires, étaient célébrées à l’occasion des six fêtes principales de l’année catholique. Tous les consuls présents à Tunis y assistaient en grand apparat.
[45] Aujourd’hui « avenue Habib Bourguiba ».
[46] Ce bâtiment portait le nom de « Services militaires ».
[47] Bizerte constituait également, dans le cadre de l’OTAN, une base stratégique avancée de la défense de l’Occident face aux menaces de l’Est.
[48] Sans compter les corps inconnus, 1220, et les urnes funéraires, 1403. (cf. Wikipédia). Les cimetières militaires musulmans sont situés à Haffouz et à Tarf-ech-Chena.
[49] Geneviève Falgas, Français de Tunisie : les dernières années du protectorat, Editions Alan Sutton, 2004, 127 pages. Voir aussi les actes du colloque de Marseille, déjà cité, p. 16.
[50] Marseille et le choc des décolonisations. Les rapatriements 1954-1964, sous la direction de Jean-Jacques Jordi et Emile Temime, Edisud, 1995 : Le reflux des Français d’Afrique du Nord (1956-1962), Jacques Frémeaux, pages 14 à 28.
[51] Claudine Iacoponelli-Caléca, Le passé refleurit toujours comme les cyclamens du Bou-Kornine, Editions Mémoire de notre temps, 2002, p. 67.
[52] Il faut remarquer que les différentes communautés ne se mélangeaient pas. Les liens personnels s’arrêtant aux portes des maisons.
[53] Marseille et le choc des décolonisations, op.cit., page 17.
[54] Les Français étaient devenus des étrangers en Tunisie depuis l’accession à l’indépendance, le 20 mars 1956.
[55] Notamment à l’occasion des discours prononcés lors de la signature du « Protocole de l’accord franco-tunisien », le 20 mars 1956, relatif à l’indépendance. Le vice-président du Conseil tunisien, Bari Ladgham, consacra l’essentiel de sa courte déclaration à apaiser les inquiétudes des Français pour qui une nouvelle ère s’ouvrait au sein d’une coopération franco-tunisienne : « Il faut leur dire que l’indépendance de la Tunisie, et nous [le] leur disons solennellement, ne signifie pas leur éviction de Tunisie », Archives du CADN, Tunisie 2e Versement, Carton 2493, Protocole de l’accord Franco-Tunisien signé le 20 mars 1956, 11 pages.
[56] Lors d’une enquête d’opinion, faite en 2002, certains agriculteurs déclarèrent avoir envisagé de prendre la double nationalité – si on la leur avait proposée – afin de rester dans le pays.
[57] Tahar Belkhodja, Les Trois décennies Bourguiba. Témoignage, Publisud – Arcantères, 1998, pages 75 à 111.
[58] Marseille et le choc des décolonisations, op. cit., Jacques Frémeaux, pp. 13-26.
Jean-Jacques Jordi, 1962 : l’arrivée des Pieds-Noirs, Editions Autrement, 1995, pp. 135-138.
[59] Pour ces populations françaises rapatriées d’Indochine (1954-1960) et d’Egypte (1956-1957), se reporter à Marseille et le choc des décolonisations, op. cit. pages 29 à 53.
[60] Enquête d’opinion effectuée en 2002 sur un échantillon de quelque 130 personnes. Geneviève Goussaud-Falgas, Français de Tunisie : une France d’Outre-Mer dans le creuset tunisien, Thèse de doctorat, Université de Toulouse II Le Mirail, 2003.