Jane Freedman
Les résolutions internationales contre les violences faites aux femmes : un outil pour la protection ?
Présentation des relations entre les affects et l’émergence de certains concepts à partir d’un film tourné en 2005 sur les réfugiés du Darfour au Caire. Insistant sur la valeur heuristique des images dans l’élaboration d’une problématique filmée.
L’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU de la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité a été vue par de nombreuses militantes féministes comme un large pas en avant dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans les conflits armés. Dix ans plus tard, après l’adoption de plusieurs nouvelles résolutions onusiennes traitant du sort des femmes pendant les conflits armés et leur rôle dans la résolution de ces conflits, le bilan reste mitigé. Si l’adoption des résolutions onusiennes, en tandem avec l’évolution du droit pénal international, a pu avoir un impact symbolique important en inscrivant les questions des violences liées au genre pendant les conflits sur l’agenda international, les impacts réels de ces résolutions sur le terrain dans les pays en guerre sont moins tangibles.
Le passage de la rĂ©solution 1325 en octobre 2000 est le fruit des annĂ©es de travail et de mobilisation par des groupes fĂ©ministes. La rĂ©solution peut Ăªtre vue comme une rĂ©volution dans le paysage des politiques internationales sur la sĂ©curitĂ©Â : en effet, c’est la première fois que le Conseil de sĂ©curitĂ© a reconnu que les femmes avaient le droit de participer Ă tous les niveaux au processus de prĂ©vention et de rĂ©solution des conflits, et du maintien de la paix. La rĂ©solution appelle tous les États membres Ă prendre des mesures spĂ©cifiques pour protĂ©ger les femmes et les filles pendant les conflits et Ă mettre en Å“uvre un processus de « gender mainstreaming » dans les opĂ©rations de maintien de la paix et de reconstruction post-conflit. Suite Ă la rĂ©solution 1325, le Conseil de sĂ©curitĂ© a adoptĂ© d’autres rĂ©solutions sur des questions spĂ©cifiques relatives Ă la problĂ©matique des rapports de genre dans les conflits armĂ©s. Notamment, en juin 2008, une rĂ©solution sur les violences sexuelles dans les conflits armĂ©s (rĂ©solution 1820) a Ă©tĂ© adoptĂ©e. Cette rĂ©solution reconnaĂ®t que les violences sexuelles sont utilisĂ©es comme tactique de guerre et demande la cessation immĂ©diate de toutes formes de violences sexuelles contre les populations civiles pendant les conflits armĂ©s. En septembre 2009 une deuxième rĂ©solution sur les violences sexuelles pendant les conflits (rĂ©solution 1888) appelait Ă la crĂ©ation immĂ©diate d’un reprĂ©sentant spĂ©cial qui pourrait coordonner les efforts des organisations internationales et les autoritĂ©s nationales dans la lutte contre ces violences.
MalgrĂ© toutes les rĂ©solutions onusiennes et les dĂ©bats qui ont eu lieu sur ces questions dans l’arène internationale, les violences sexuelles et les violences contre les femmes pendant les conflits continuent. Nous pourrions donc nous demander si ces rĂ©solutions et les actions internationales qui les accompagnent ont eu une vraie utilitĂ©. D’un cĂ´tĂ©, nous pouvons souligner l’importance symbolique des rĂ©solutions internationales qui ont crĂ©Ă© un rĂ©gime international de lutte contre les violences sexuelles pendant les conflits. Mais, d’un autre cĂ´tĂ©, nous pourrions noter un dĂ©calage important entre les normes et les conventions internationales et leur mise en Å“uvre au niveau national ou local. Les obstacles Ă la concrĂ©tisation des rĂ©solutions internationales sont multiples et existent au niveau des organisations internationales elles-mĂªmes mais aussi au niveau des gouvernements nationaux et des organisations de la sociĂ©tĂ© civile. Aux obstacles liĂ©s Ă un manque de coordination entre organisations, des inefficacitĂ©s bureaucratiques et un manque de financements pour des programmes sur les femmes et le genre, s’ajoutent des problèmes liĂ©s Ă la comprĂ©hension mĂªme des rapports de genre et de la position des femmes dans les sociĂ©tĂ©s en conflit.
Un problème majeur dans la mise en Å“uvre des rĂ©solutions onusiennes rĂ©side dans le fait que ces rĂ©solutions n’ont pas de pouvoir contraignant Ă l’égard des États membres qui, de ce fait, sont souvent lents Ă suivre les recommandations internationales. La rĂ©solution 1325, par exemple, a appelĂ© chaque État-membre Ă mettre en place un Plan d’action national, mais Ă l’heure actuelle il n’y a qu’une vingtaine de pays qui ont Ă©laborĂ© un tel plan (la France n’est pas parmi ces pays). Il semble que pour la plupart des pays, cette question n’est pas prioritaire. Les plans nationaux qui ont Ă©tĂ© formulĂ©s peuvent Ăªtre critiquĂ©s pour leur approche « intĂ©grative » plutĂ´t que « transformative » de genre (Hudson, 2009). En d’autres termes, ces plans « ajoutent » les femmes Ă des structures et des actions dĂ©jĂ existantes, sans s’interroger sur les rapports de genre qui sous-tendent les violences sexuelles pendant les conflits.
Si les organisations internationales ont Ă©tĂ© plus rapides que les États Ă mettre en place des plans d’application des rĂ©solutions onusiennes sur le genre pendant les conflits, la concrĂ©tisation de vrais programmes de travail est toujours compliquĂ©e. Les organisations de l’ONU doivent mettre en place une politique de « gender mainstreaming » ce qui veut dire qu’ils doivent intĂ©grer les approches « genrĂ©s » Ă tous les niveaux des opĂ©rations. La mise en place des activitĂ©s liĂ©es Ă l’application de la rĂ©solution 1325 a souvent Ă©tĂ© effectuĂ©e dans le cadre de cette politique de « mainstreaming » qui est elle-mĂªme critiquĂ©e pour son manque de pouvoir transformatif des opĂ©rations des organisations internationales. Une des principales concrĂ©tisations de la rĂ©solution 1325 a Ă©tĂ© d’envoyer des conseillers sur le genre dans les missions prĂ©sentes dans les pays en conflit. Un conseiller sur le genre au siège de l’UNDPKO Ă New York soutient le travail de ces conseillers sur le terrain. Un des problèmes signalĂ©s par ces conseillers sur le genre est un manque de respect pour le travail qu’ils/elles font par les autres membres des missions de l’ONU. Ils/elles n’ont pas de budget spĂ©cifique allouĂ© et donc sont dĂ©pendants de la volontĂ© du chef de mission pour financer des projets liĂ©s au genre et Ă la protection des femmes. Une conseillère explique qu’elle n’a pas pu accĂ©der aux populations rurales loin de la capitale parce qu’elle n’avait pas l’argent pour financer des dĂ©placements dans le pays oĂ¹ elle travaillait (citĂ© dans Keaney-Mischel, 2006). Le fait d’avoir Ă convaincre sa propre organisation avant de lancer des initiatives pour protĂ©ger les femmes et pour faire avancer l’égalitĂ© de genre est un problème qui est soulignĂ© par plusieurs femmes qui ont travaillĂ© pour les missions onusiennes de maintien de la paix. L’ex-conseillère sur le genre pour les missions de l’ONU en RDC (RĂ©publique DĂ©mocratique du Congo) affirme, par exemple, que quand elle est arrivĂ©e, on ne lui a pas donnĂ© d’ordinateur ni de voiture ; en bref, il Ă©tait clair qu’elle n’était pas la bienvenue dans cette mission (Cohn et al., 2004). Cette rĂ©sistance Ă l’intĂ©gration des activitĂ©s et des programmes sur les femmes et le genre peut aussi Ăªtre observĂ©e chez certaines associations de la sociĂ©tĂ© civile et certaines ONG, pour lesquelles la question des femmes reste secondaire. La prĂ©sence de ces conseillers sur le genre peut Ăªtre très importante pour faire avancer les questions sur la protection des femmes pendant les conflits armĂ©s comme l’ont montrĂ© les recherches sur la Sierra Leone (Barnes, 2008). Mais trop souvent ces conseillers n’ont pas les ressources nĂ©cessaires pour mener Ă bien leurs activitĂ©s sur le terrain.
D’ailleurs, mĂªme quand il existe une volontĂ© de faire quelque chose pour aider les femmes victimes de violences sexuelles, les solutions apportĂ©es ne sont pas toujours adaptĂ©es au contexte local, surtout quand ces victimes risquent souvent dâ€™Ăªtre stigmatisĂ©es ou mĂªme chassĂ©es par leur communautĂ© si elles parlent des violences subies. Puechgirbal donne l’exemple d’un centre de soins en RDC qui donnaient des soins et des conseils aux victimes de viol. Comme ce centre possĂ©dait des ressources très limitĂ©es, les ONG et les organisations internationales ont proposĂ© de construire un nouveau centre mĂ©dical protĂ©gĂ© par des soldats. Mais bien sĂ»r une telle solution Ă©tait absurde – il Ă©tait très peu probable que les femmes congolaises victimes de viol veulent Ăªtre vues entrant dans un tel centre entourĂ© de soldats. Pour elles, le plus important Ă©tait la discrĂ©tion et le fait de pouvoir Ăªtre soignĂ©es sans se faire remarquer par la communautĂ© (Puechguirbal, 2004). Un tel exemple illustre le problème des solutions « importĂ©es » de l’extĂ©rieur sans une vraie rĂ©flexion sur les conditions locales, y compris sur les rapports de pouvoir et de domination qui existent au sein des communautĂ©s. De pareilles pratiques ont Ă©tĂ© notĂ©es dans les programmes de protection des rĂ©fugiĂ©s. Des violences sexuelles sont frĂ©quentes dans les camps de rĂ©fugiĂ©s et les femmes se trouvent dans des positions d’insĂ©curitĂ© lorsqu’elles doivent aller chercher, par exemple, de l’eau ou du bois (Freedman, 2007). Pour y rĂ©pondre, dans plusieurs camps, des sections spĂ©cifiques pour les femmes « vulnĂ©rables » ont Ă©tĂ© Ă©tablies. Mais le fait de mettre Ă part ces femmes et de les montrer comme « vulnĂ©rables » peut en fait accroĂ®tre leur insĂ©curitĂ© parce qu’elles seront plus facilement identifiables par les auteurs des violences. Ce type de problème ne peut Ăªtre rĂ©solu qu’en dialoguant avec les populations locales pour identifier leurs vrais besoins. Un tel dialogue est trop souvent absent des activitĂ©s des organisations internationales et des ONG qui ont tendance Ă importer des solutions de l’extĂ©rieur sans prendre en compte des initiatives locales (Barnes, 2008).
Pour Ăªtre un outil vraiment efficace contre les violences sexuelles il semble que les actions et les politiques internationales devraient Ăªtre adaptĂ©es aux situations locales avec une vraie prise en compte des rapports imbriquĂ©s de domination dans chaque contexte. Mais pour cette adoption locale de la rĂ©solution 1325 et les autres, il faut que les informations sur ces rĂ©solutions filtrent jusqu’aux femmes qui sont elles-mĂªmes concernĂ©es, ce qui n’est pas toujours le cas. L’UNIFEM (United Nations Development Fund for Women) a fait traduire la rĂ©solution dans plusieurs langues locales pour pouvoir la diffuser plus facilement auprès des populations locales, mais il est toujours vrai que la plupart des femmes ne sont pas elles-mĂªmes au courant de son contenu. MĂªme si l’adoption des rĂ©solutions onusiennes et les avancĂ©es du droit pĂ©nal peuvent Ăªtre vues comme des outils de plaidoyer Ă l’usage des femmes au niveau local pour faire avancer leurs droits, le manque d’information reste un obstacle crucial. Une avocate en RDC, qui a Ă©tudiĂ© l’impact de la rĂ©solution 1325 dans son pays, remarque l’ignorance de la rĂ©solution par les femmes et surtout des femmes dans les provinces. Elle note aussi les obstacles qui existent toujours Ă l’accès de ces dernières aux procĂ©dures judiciaires, des obstacles qui sont liĂ©s Ă des pratiques discriminatoires persistantes (Esambo Diata, 2008).
Les rĂ©solutions onusiennes sur les femmes, la paix et la sĂ©curitĂ© sont importantes en mettant ces questions Ă l’agenda et en crĂ©ant des outils pour ceux et celles qui veulent protĂ©ger les droits des femmes pendant les conflits armĂ©s. Mais pour dĂ©passer les obstacles qui existent Ă la mise en Å“uvre de ces rĂ©solutions, il faut une vraie rĂ©flexion sur les rapports de pouvoir et de domination qui existent – des rapports de genre, d’ethnicitĂ©, de race et de classe. Pour faire cela il faut dĂ©passer la simple vision des femmes comme « victimes » des conflits armĂ©s et voir aussi les divers rĂ´les qu’elles jouent. En considĂ©rant les femmes comme actrices et non comme victimes passives, il serait possible d’écouter leur voix et de dĂ©velopper des stratĂ©gies adaptĂ©es aux contextes locaux et aux besoins des femmes et des hommes dans des pĂ©riodes de conflit et de post-conflit. Les organisations internationales et les ONG devraient travailler avec les populations locales en Ă©coutant leurs besoins et en soutenant leurs propres initiatives, pour pouvoir arriver Ă des solutions qui sont acceptĂ©es et acceptables par tous, et qui offrent une vraie protection et une rĂ©elle sĂ©curitĂ© aux populations des pays en conflit.