Corinne Fortier

Corinne Fortier

À corps perdus. Migrants, marins et bateaux naufragés : entre conscientisation et esthétisation

Anthropologue et réalisatrice, CNRS-LAS, Paris

« Je naviguais vers mon espoir. Je m’imaginais déjà arrivé. J’avais avancé jusqu’à la mer sombre. J’avais de l’eau jusqu’aux genoux et je disais des poèmes » (Paroles d’Assef Husseinkhail, Afghan qui a tenté, par un bateau de sa construction, d’atteindre l’Angleterre)

 

Des images contre l’invisibilisation

La route maritime depuis l’Afrique est devenue le chemin principal pour rejoindre l’Europe. On sait que de nombreuses personnes traversent la mer Méditerranée entassées sur des embarcations de fortune où chaque vague est une menace. Disparus en mer, les migrants ne laissent pas de traces et n’encombrent pas les consciences européennes. Ils sont perçus comme une masse anonyme et déshumanisée, ne parle-t-on pas à leur égard de « flux migratoire ».

Mais, lorsque leur mort laisse des traces et fait la Une des journaux, suite à l’image rendue publique par la photojournaliste turque Nilüfer Demir d’un enfant échoué le 2 septembre 2015 sur la plage turque de Bodrum, l’Europe est soudain bouleversée ; l’image donne alors « corps » à ce que l’Europe ne voulait pas voir.

Cet enfant, seul rescapé de toute la famille, dont le frère et la mère ont également péri en mer, sera identifié par son père. Son prénom fera dès lors le tour de l’Europe : Alan – d’abord transcrit dans les journaux comme Aylan –, ainsi que son nom, Kurdi, qui indique qu’il est d’origine kurde de Syrie. Son histoire restera désormais gravée dans les mémoires collectives, et un navire de l’organisation humanitaire Sea Eye, secourant les migrants, portera son nom.

L’image du petit Alan Kurdi échoué sur une plage a immédiatement des conséquences sur l’opinion publique et les politiques puisqu’en septembre 2015, François Hollande et Angela Merkel se prononcent pour un « mécanisme européen permanent et obligatoire » d’accueil des migrants. Des anonymes se réunissent dans plusieurs villes d’Europe en leur soutien, des artistes français cosignent une tribune pour leur venir en aide, le pape François appelle les catholiques d’Europe à accueillir une famille migrante, et le choc médiatique facilite l’opération du financement participatif aboutissant à l’affrètement par l’association SOS Méditerranée du bateau Aquarius qui vient en aide aux migrants. Mais cette forte mobilisation liée à la prise de conscience provoquée par la publication de cette photographie n’a pas été pérenne.

Photo que le plasticien chinois Ai Weiwei (né en 1957) a immortalisé en lui en substituant une autre, en noir et blanc, où il se met en scène sur la plage de l’île de Lesbos dans la même position que celle de l’enfant naufragé. Ce geste artistique, censé participer au réveil des consciences, dans la mesure où Alan Kurdi n’est pas le dernier naufragé, demeure problématique étant donné que la photo possède une connotation éminemment narcissique : la mise en scène macabre de ce photographe célèbre, tendant à mettre au second plan ce qu’il est censé dénoncer, le naufrage des migrants.

La beauté du naufrage

Le motif du bateau se retrouve fréquemment dans des films((C’est le cas notamment du film d’Elsa Gomis, The People Behind the Scenes (2019, 1 h 18) qu’elle analyse dans ce numéro (Elsa Gomis, 2019).)) et des installations artistiques((F. Mazzara, 2015.)) sur les migrants((Notamment celle de l’artiste grecque Kalliopi Lemos. Voir à ce propos l’analyse de K. Horsti, 2016.)), en tant que symbole de leur traversée périlleuse. Il fait écho au tableau archétypal en histoire de l’art de Théodore Géricault, Le radeau de la Méduse (1818).

Le radeau de la Méduse de Théodore Géricault (1818-1819), Musée du Louvre, Paris (domaine public)

Le radeau de la Méduse de Théodore Géricault (1818-1819), Musée du Louvre, Paris (domaine public)

Ce motif possède une signification religieuse, qu’on pense au tableau d’Eugène Delacroix, Le Christ sur le lac de Genesareth (1854), où l’on voit les apôtres lever les bras de toute part en signe d’affolement, tandis que Jésus dort paisiblement : selon le récit biblique, le Christ, tiré de son sommeil, apaisera la tempête et reprochera à ses compagnons d’avoir craint un naufrage, signe de leur manque de foi.

Le Christ sur le lac de Genesareth d'Eugène Delacroix (1854), Metropolitan Museum Of Art, New York (domaine public)

Le Christ sur le lac de Genesareth d'Eugène Delacroix (1854), Metropolitan Museum Of Art, New York (domaine public)

Il existe dans l’art chrétien une certaine esthétisation du motif du naufrage, et ce aussi bien dans des tableaux de grands-maîtres que dans les peintures populaires d’ex-voto.

Ex-voto du XVIIIe siècle du musée des ex-voto de l'église de Madonne del Arco près de Naples (photo © Corinne Fortier)

Ex-voto du XVIIIe siècle du musée des ex-voto de l'église de Madonne del Arco près de Naples (photo © Corinne Fortier)

La résonnance chrétienne du motif du navire associé au naufrage est par ailleurs sous-jacente dans les bateaux miniatures accrochés en ex-voto dans les églises de nombreuses localités maritimes d’Europe.

Ex-voto de bateaux suspendus à la voûte de la chapelle de Notre Dame de Rocamadour, Camaret-sur-Mer (photo © Corinne Fortier)

Ex-voto de bateaux suspendus à la voûte de la chapelle de Notre Dame de Rocamadour, Camaret-sur-Mer (photo © Corinne Fortier)

Le cimetière de bateaux est un motif « romantique » que l’on retrouve à la manière d’un leitmotiv dans de nombreux films sur les migrants compte tenu de son caractère à la fois esthétique et signifiant en tant qu’il renvoie aux thématiques de l’échouage et de l’abandon. Par exemple, l’anthropologue et réalisateur Manoël Pénicaud, dans la vidéo d’art « Cimetière des bateaux de migrants à Lampedusa » (2017, 3 mns)((https://www.youtube.com/watch?v=_8DKovjnYL4)), montre des carcasses abandonnées sur une bande-son paisible où l’on entend le bruit des vagues((Installation vidéo réalisée dans le cadre de l’exposition « Lieux saints partagés » présentée au musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI) à Paris du 24 octobre au 21 janvier 2018, https://www.youtube.com/watch?v=_8DKovjnYL4.)).

Le bateau échoué en tant que vestige fait l’objet d’une réappropriation par certains artistes. C’est le cas en 2004 de l’artiste français Jean-Michel Othoniel (né en 1964) dans son œuvre au titre religieux, Le bateau de larmes (2004), fabriquée à partir d’une barque de réfugiés cubains retrouvée sur une plage de Floride((Œuvre que j’ai pu voir lors de l’exposition consacrée à cet artiste en 2004 au Centre Pompidou à Beaubourg : « My way, Jean-Michel Othoniel ». Pour voir une image de cette œuvre : https://www.perrotin.com/fr/artists/Jean-Michel_Othoniel/9/le-bateau-de-larmes/9371)), qu’il a ornementée de boules de verre de Murano formant une couronne précieuse au-dessus de la coque.

« Le bateau de larmes » de Jean-Michel Othoniel, 2014, vue de l'œuvre à Saint-Tropez devant le musée de l'Annonciade en 2007 (photo Jean-Michel Othoniel © 2019 Othoniel/ADAGP, Paris - © 2019 Othoniel/ARS, New York, avec leur aimable autorisation).

« Le bateau de larmes » de Jean-Michel Othoniel, 2014, vue de l'œuvre à Saint-Tropez devant le musée de l'Annonciade en 2007 (photo Jean-Michel Othoniel © 2019 Othoniel/ADAGP, Paris - © 2019 Othoniel/ARS, New York, avec leur aimable autorisation).

Les restes des épaves naufragées deviennent des reliques au sens chrétien qui témoignent de la tragédie endurée par les migrants. Ils peuvent même revêtir une signification christique, la souffrance des migrants renvoyant à celle du Christ. Cette représentation est particulièrement explicite chez le pape François qui célébra en 2013 une messe à Lampedusa en hommage aux migrants décédés où il portait au cou une croix en bois fabriquée à partir d’un bateau à bord duquel des migrants ont péri((« Le Pape François prie pour les migrants et les réfugiés à Lampedusa lors d’une visite qui fera date », par Barbara Moliniaro, 6 juillet 2013, UNHCR, https://www.unhcr.org/fr/news/stories/2013/7/51dc24a9c/pape-francois-prie-migrants-refugies-lampedusa-dune-visite-fera-date.html)). La physicalité du navire naufragé tient lieu du corps du migrant, qui lui-même renvoie au corps du Christ.

Le bateau échoué joue le rôle de substitut physique du migrant, substitut qui a un sens dans l’univers maritime, et que l’on retrouve fréquemment dans les films et dans les installations artistiques contemporaines, comme dans la peinture classique (Delacroix, Géricault…) ou dans l’art populaire religieux (ex-voto).

Le corps-bateau

Dans la tradition maritime, un bateau échoué, à la manière d’un corps, ne peut-être démembré. Lors de mon séjour en 2019 à Camaret-sur-mer, de nombreux habitants étaient choqués que des personnes aient prélevé nuitamment du bois flottant sur l’un des chalutiers abandonnés, comme si l’on démembrait un mort et qu’on le faisait disparaître une deuxième fois.

Épaves des bateaux de pêche du sillon de Camaret-sur-mer (photo © Corinne Fortier)

Épaves des bateaux de pêche du sillon de Camaret-sur-mer (photo © Corinne Fortier)

Dans la tradition maritime, le bateau est une personne : comme un enfant, il porte un nom, est baptisé, a un parrain et une marraine. Il est courant en Bretagne de donner à son bateau le prénom de ses enfants, tel Le Roger-Madeleine((À ce sujet, voir C. Fortier, 2020b.)), moins souvent de son épouse, comme La Janine, ou plus rarement encore, de son mari, c’est en l’occurrence le cas d’une des seules femmes pêcheuses en France, Scarlette Le Corre du Guilvinec, qui a appelé son bateau par le prénom de son époux : Mon copain Jean-Pierre((Son mari est lui-même pêcheur hauturier tandis qu’elle pratique la pêche côtière. Voir à ce sujet le film Le bar à la barre. Le Moineau, ligneur de Concarneau » (Corinne Fortier, 2019, 1 h 55).)).

Cette personnification du bateau, qui témoigne également de l’affection que son propriétaire lui porte, explique que la politique de « casse », entreprise en France en 2013 visant à réduire la flotte dans le but de préserver la ressource, était assez mal perçue par les pêcheurs, malgré les primes empochées, comme le montre le cas de Claude Le Drézen dans le film « J’ai fait de jolis coups ! Claude, pêcheur de Kerity Penmarc’h » (Corinne Fortier, 2019, 1 h 18). Celui-ci préférera garder son bateau, baptisé du prénom de sa fille, Le Marina, dans son jardin((« J’ai fait de jolis coups ! Claude, pêcheur de Kerity Penmarc’h » (2019, 1 h 18 mns), https://www.canal-u.tv/video/ehess/j_ai_fait_de_jolis_coups.52191)). Un article du journal Ouest France((« 9 : 30 — Les bateaux de pêche à la casse : les 78 premiers noms », Ouest France, le 26 septembre 2013.)) publia significativement la liste des premiers bateaux de pêche qui ont fait les frais de cette politique de casse, comme si on publiait la liste des personnes envoyées à la guillotine.

« J’ai fait de jolis coups ! Claude, pêcheur de Kerity Penmarc’h » (Corinne Fortier, 2019, 1 h 18).

L’épave, substitut du corps du migrant

Cette idée du « corps-bateau » est très claire dans l’œuvre de l’artiste suisso-islandais Christoph Büchel (né en 1966) qui, à la Biennale de Venise de 2019, exposera un navire ayant transporté des migrants. Cette épave n’est pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit d’un chalutier ayant coulé le 18 avril 2015 dans le canal de Sicile après qu’un cargo ait essayé de lui porter assistance.

Il a été mis hors d’eau afin de tenter d’identifier les victimes et de les enterrer dignement, le Premier ministre italien, Matteo Renzi, ayant déclaré : « Nous ne pouvons pas penser que ce sont des chiffres qui sont morts. Ce sont des êtres humains […]. Il était de notre devoir d’offrir une sépulture digne à nos frères et sœurs qui seraient sinon restés au fond de la mer »((« L’art peut-il s’approprier le drame des migrants », Courrier international, 22 mai 2019, https://www.courrierinternational.com/article/controverse-lart-peut-il-sapproprier-le-drame-des-migrants.)). Telle une cicatrice corporelle, le navire, exposé à la Biennale de Venise, porte la trace de l’ouverture qui a été réalisée sur son flanc afin d’accéder à la coque. Là encore nulle image des corps des migrants retrouvés mais des chiffres : huit cents, dont beaucoup provenaient du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso, de Guinée, d’Érythrée, d’Éthiopie, de Somalie, du Soudan, de Syrie et du Bangladesh((« L’épave du pire naufrage de migrants en Méditerranée exposée à Venise », Le Point, 7 mai 2019, URL : https://www.lepoint.fr/monde/l-epave-du-pire-naufrage-de-migrants-en-mediterranee-exposee-a-venise-07-05-2019-2311232_24.php)).

Matteo Renzi fit renflouer l’épave dans le but de l’envoyer à Bruxelles pour l’exposer devant le siège de la Commission européenne afin de placer l’Europe face à ses manquements((Ce naufrage mettait en lumière le fait que, depuis la fin du dispositif humanitaire pris en charge par la marine militaire italienne « Mare Nostrum », les naufrages étaient de plus en plus fréquents et massifs, cf. « Arts : à la Biennale de Venise, “Barca nostra” en hommage aux migrants morts en mer », par Jérôme Gautheret, Le Monde, 10 mai 2019, https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/05/10/arts-a-la-biennale-de-venise-barca-nostra-en-hommage-aux-migrants-morts-en-mer_5460650_3246.html.)), mais il ne mit pas sa menace à exécution, et c’est finalement à la Biennale de Venise qu’elle sera exhibée, donnant lieu à de nombreuses polémiques autour de la question de savoir si « l’art peut s’approprier le drame des migrants ? »((C’est le titre d’un article du Courrier international, 22 mai 2019.)). L’installation, suggestivement nommée en italien « Barca nostra » (Notre barque), est censée témoigner de notre responsabilité collective.

L’œuvre est brute et sans explication((« L’épave du pire naufrage de migrants en Méditerranée exposée à Venise », Le Point, 7 mai 2019, https://www.lepoint.fr/monde/l-epave-du-pire-naufrage-de-migrants-en-mediterranee-exposee-a-venise-07-05-2019-2311232_24.php. Les explications ne figurent que dans le catalogue qu’il faut par ailleurs acheter.)). Un des arguments fréquemment mis en avant dans les expositions d’art contemporain, comme dans la muséographie d’objets ethnologiques((C. Fortier, 2014.)), consiste à affirmer que la présentation de l’œuvre se suffit à elle-même et que toute explication annexe viendrait polluer l’émotion première ressentie à son contact. Mais en quoi expliquer l’histoire de ce navire, le drame qui est survenu, les conséquences tragiques de l’arrêt du dispositif humanitaire de sauvetage de Mare Nostrum, la responsabilité du cargo portugais dérouté par les garde-côtes italiens pour lui porter secours, les difficultés à identifier les migrants décédés, le fait de connaître le devenir des rescapés, seraient-ils contradictoires avec l’émotion produite par l’œuvre et ne viendraient pas au contraire la renforcer ?

Et surtout n’y a-t-il pas quelque chose d’obscène dans le fait d’exposer ce bateau, à bord duquel de nombreux migrants de pays du Sud ont embarqué pour rejoindre l’Europe dans l’espoir d’améliorer leur situation économique, dans une biennale d’art contemporain où les œuvres atteignent des prix considérables ? Enfin, il est légitime de se demander en quoi cette œuvre ne conforte pas l’esthétisation de la tragédie et dans quelle mesure elle a un impact sur le sort des migrants, notamment les rescapés – qui sont au nombre de vingt-huit – dont l’artiste ne semble pas faire cas((Comme le remarque le journaliste italien Lorenzo Tondo dans le Guardian, 12 mai 2019 : « Büchel’s decision risks creating yet another celebration of the nostalgia of tragedy without a corresponding act of conviction in the present; it is simply too distant from those towards whom its message should be directed », URL : https://www.theartnewspaper.com/news/christoph-buechel.)).

Des objets contre l’oubli

De même, alors qu’on découvre de nombreux cadavres de migrants dans le Canal de Sicile en 2015, et qu’ils ne sont connus qu’à travers un chiffre et une date : les « 49 cadavres du 15 août » dans les journaux((« “Gazelleˮ, le poignant texte de rap retrouvé parmi les corps de migrants», Le Monde, 28 août 2015. https://www.lemonde.fr/europe/article/2015/08/28/gazelle-le-poignant-texte-de-rap-retrouve-parmi-les-corps-de-migrants_4739379_3214.html)), le journal italien La Repubblica publie les photographies des objets ayant été retrouvés dans la cale du bateau. Ces migrants acquièrent dès lors une histoire, et même une subjectivité, puisque parmi ces objets figure une feuille de papier sur laquelle ont été griffonnées les paroles d’une chanson dédiée à une « gazelle ». Il s’agit d’une chanson d’amour, la gazelle présentifiant l’aimée dans la poésie arabo-musulmane((C. Fortier, 2004a et 2018.)) : « C’est l’histoire tragique d’une jeune fille qui s’appelle Gazelle », d’une « beauté sublime », elle « aime la vie malgré l’enfer où elle est tombée ». L’histoire anonyme de cet homme vient alors à s’individualiser et prendre vie((Dans la vidéo d’art déjà citée, « Cimetière des bateaux de migrants à Lampedusa », Manoël Pénicaud s’attarde un bref instant sur un portefeuille échoué au fond d’une calle, instant qui suffit à ce que le spectateur imagine l’histoire de son propriétaire.)) puisqu’on suppose que, peu avant le naufrage, celui-ci écrivait un rap, expression de la jeunesse africaine, en hommage à une femme qu’il aimait et qui, comme lui, a connu un destin tragique.

Le musée des objets-hommes perdus

À Lampedusa, un musée, à l’initiative de l’association Askavusa, « pieds nus » en sicilien, recueille depuis 2014 les objets retrouvés sur les bateaux échoués ayant transporté des migrants. Le lieu a été baptisé Porto M : M comme migration, Méditerranée, mémoire, mer en italien… et funestement mort. Ces objets, comme les films, font trace, et permettent de ne pas oublier.

Une des fondatrices de ce musée, Annalisa d’Ancona, témoigne du type d’objets retrouvés. Des papiers griffonnés au fond des poches des migrants comportent notamment des conseils sur la manière de s’intégrer dans « le pays d’accueil » :

« Des écrits en tigrina, la langue de l’Érythrée et d’une partie de l’Éthiopie, en arabe, en bengali, en anglais aussi. La plupart du temps, ce sont des numéros de téléphone ou des adresses. Mais on a parfois trouvé des recettes de cuisine italienne ou carrément des conseils sur le comportement à adopter une fois arrivé en Italie, à qui s’adresser, comment fonctionne le pays »((« Se souvenir des naufragés de Lampedusa – collectif 2026 », Cécile Debarge, Divergence, p. 38-41. https://www.google.com/search?q=c%C3%A9cile+debarge+naufrag%C3%A9s&client=firefox-b-d&ei=ARtDXaCBPI34U_z1kNgN&start=10&sa=N&ved=0ahUKEwjgheyWk-LjAhUN_BQKHfw6BNsQ8tMDCJEB&biw=724&bih=433)).

Dans le cas du naufrage du 18 avril 2015, certains migrants transportaient avec eux de petits sachets contenant leur terre d’origine, et un adolescent avait cousu dans ses vêtements un bulletin scolaire censé l’aider à trouver du travail((« L’épave d’un bateau où a péri un millier de migrants en Méditerranée exposée à la Biennale de Venise », France info avec AFP 07/05/2019, https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/art-contemporain/l-epave-d-un-bateau-ou-a-peri-un-millier-de-migrants-en-mediterranee-exposee-a-la-biennale-de-venise_3432879.html)).

Du Titanic aux bateaux de migrants

Il existe peu d’articles de presse rendant compte de l’existence de ce musée de Lampedusa exposant les objets ramassés sur les bateaux ayant transporté des migrants, comparés à la large couverture médiatique de la vente aux enchères des objets retrouvés à bord du Titanic, cent ans après son naufrage (1912), engouement qui est sans doute lié au succès populaire du film hollywoodien de James Cameron, Titanic (1997, 2 h 34)((https://www.dailymotion.com/video/x37ydyg)). Ces objets ont été vendus((Le violon du musicien (Wallace Hartley) qu’on voit jouer dans le film au début du naufrage, bien qu’inutilisable, a été vendu aux enchères pour 1,5 million d’euros, https://www.catawiki.eu/stories/4897-les-5-objets-venant-du-titanic-les-plus-chers-jamais-vendus)) en un seul lot à New York afin qu’ils puissent être exposés plus tard au public dans le but de « préserver l’histoire pour les futures générations »((https://www.lepoint.fr/culture/cent-ans-apres-son-naufrage-5-500-objets-du-titanic-aux-encheres-a-new-york-06-01-2012-1415880_3.php)). On peut mesurer la faible mobilisation pour conserver les objets retrouvés à bord des embarcations transportant des migrants comparée à celle déployée pour le Titanic.

Dans le musée de Lampedusa, une multitude de chaussures de différentes tailles sont suspendues au plafond, image qui en rappelle une autre, celle du tas de chaussures du musée du mémorial de la Shoah à Auschwitz-Birkenau, images fortes qui évoquent, dans les deux cas, le caractère massif de ces tragédies. Annalisa d’Ancona, à propos des chaussures exposées au musée de Lampedusa, explique :

« On les a ramassées après le naufrage du 3 octobre 2013, l’un des premiers, dont les médias ont tant parlé […]. Le bateau a coulé à environ 800 mètres de la côte. Dans les heures et les jours qui ont suivi, on a retrouvé un peu partout des chaussures d’hommes, de femmes, d’enfants. Des sandales, des baskets, certaines plus grandes ou plus petites […]. On les a accrochées au plafond pour évoquer l’idée de ces défunts suspendus entre ciel et terre ».

Une chaussure abandonnée peut recouvrir une histoire héroïque ou tragique, comme le montre une séquence du film Welcome (Philippe Lioret, 2009, 1 h 50, Nord-Ouest) qui, au premier abord, paraît anodine, mais se révèle, après analyse, porteuse d’un sens profond. Sur une plage de Calais, un homme se promène avec un chien jouant avec une chaussure abandonnée, chaussure dont Vincent Lindon, arrivé sur cette même plage pour dissuader un jeune migrant de se rendre à la nage en Angleterre, comprend qu’elle appartient à celui qu’il est venu chercher. Il ne la lancera pas par conséquent au chien, comme l’homme l’y invite, celui-ci semblant ne s’être aucunement posé la question de la provenance de cette chaussure, comme s’il demeurait insensible au drame des migrants qui se déroule sous ses yeux.

Il est par ailleurs probable que le réalisateur ait souhaité que le spectateur fasse un lien entre cette chaussure, en tant que vestige de ce migrant qui va mourir en mer, et celles des reliques muséographiques des morts d’Auschwitz, dans la mesure où dans les deux cas, un processus semblable d’indifférence collective est à l’œuvre((Voir ses déclarations à ce sujet dans un article de ce même volume, C. Fortier, 2019 b.)). C’est sans doute pour cette raison que Philippe Lioret a choisi d’interpréter le rôle de celui qui ne veut pas « voir/savoir » que cette chaussure est celle d’un migrant en danger de mort, personnage qui ressemble à ceux qui, pendant la guerre, ne voulaient rien savoir/voir de l’extermination des Juifs((Un autre personnage du film, le voisin de palier, incarne le personnage du délateur qui dénonce Vincent Lindon à la police parce qu’il héberge des migrants ; personnage semblable à ceux qui, pendant la guerre, dénonçaient les « justes » qui cachaient des juifs. Pour plus de développement, à ce sujet, voir C. Fortier, 2019b.)). Ce caméo est évidemment à contre-emploi((Il en est de même du rôle de son coscénariste Emmanuel Courcol, interprétant le rôle furtif d’un directeur de supermarché qui refuse l’entrée de son magasin à des migrants.)), puisqu’en tant que réalisateur, il recherche au contraire, au moyen de ce film, à sensibiliser, au sens réflexif et affectif, ainsi qu’à responsabiliser, au sens éthique et politique, ses contemporains sur le sujet, sujet dont il affirme lui-même que « C’est Le sujet ! »((cf. C. Fortier 2019b.)).

Un parcours héroïque

Comme l’auteur de rap ou l’adolescent au bulletin scolaire, parmi les migrants qui quittent leur pays, on dénombre beaucoup d’hommes jeunes. En témoigne une photo de trois amis sénégalais âgés de dix-huit à vingt ans qui, après avoir annoncé leur départ sur Facebook, ont péri dans le naufrage du 18 avril 2015((cf. I. Bardem, 1993.)). Pour parler chiffres, sur les trois cent cinquante-quatre migrants qui ont été sauvés en août 2019 par le bateau Ocean Viking de l’association SOS Méditerranée, une centaine ont moins de dix-huit ans((« Un accord européen pour répartir les 356 migrants de “l’Ocean-Viking” », Le Monde, 23 août 2019.)) https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/08/23/accord-europeen-pour-repartir-les-356-migrants-du-navire-humanitaire-ocean-viking_5502036_3224.html)).

La jeunesse est l’âge où l’on a besoin de se construire de façon autonome en s’éloignant du cocon protégé de la famille et où l’on teste ses limites en prenant des risques et en affrontant la mort. Les Sahéliens qui quittent leur pays en cherchant à atteindre la Méditerranée disent qu’ils « tentent l’aventure », expression qui résonne conceptuellement((cf. S. Bredeloup, 2008, T. Fouquet, 2007, V. Jankélévitch, 1963, S. Laacher, 2003, D. Le Breton, 1991, 1996, G. Simmel, 1992.)) et qui suggère autant le danger qu’implique un tel voyage où la mort rôde, que la renaissance attendue au bout du chemin((cf. l’introduction de ce volume, C. Fortier (2019a).)).

Il s’agit d’un itinéraire où les nombreuses épreuves et humiliations (faim, froid, vols, tortures, viols…)((Jacinte Mazzocchetti (2014) parle du « corps-héros » des migrants.)) servent à forger le caractère, notamment la virilité, et font accéder à un nouveau statut social. Ces jeunes ont été « élus » par leur famille élargie qui s’est cotisée et souvent endettée pour financer leur traversée afin, qu’arrivés en Europe, ils leur renvoient une partie du fruit de leur travail((« Mamadou Seydou, le volontaire de la famille » par Taina Tervonen, Les Jours, 14 avril 2018, https://lesjours.fr/obsessions/migrants/ep2-disparus/)). Ainsi, les aventuriers africains une fois partis n’ont pas le choix, ils doivent rentrer au pays en héros, statut héroïque qui confère par ricochet à leur famille un nouveau prestige financier et social.

Donner à voir les rêves et la joie

Au lieu de les percevoir comme une masse informe, morne, et silencieuse((L’ancien ministre britannique, David Cameron, parlera d’un « essaim de gens » à propos des migrants qui cherchent à se rendre en Angleterre depuis Calais, « Volée de bois vert pour Cameron qui évoque un essaim de migrants », RTBF.be, 31 juillet 2015, https://www.rtbf.be/info/monde/detail_volee-de-bois-vert-pour-cameron-qui-evoque-un-essaim-de-migrants?id=9044721)), les films réalisés sur les migrants mettent en lumière leur subjectivité, leur gestualité et leur vitalité. C’est le cas par exemple du film Les migrants ne savent pas nager (2016, 52 mns, LCP) de Jean-Paul Mari, qui en faisant monter le spectateur à bord de l’Aquarius, affrété par l’association SOS Méditerranée, montre des images du désespoir de ces migrants amassés sur des bateaux de fortune qui peuvent sombrer à n’importe quel moment, mais aussi l’expression de leur joie individuelle une fois qu’ils sont secourus : certains invoquent Dieu les bras au ciel, d’autres se prosternent le front à terre, d’autres encore chantent…

De même, le film de fiction, La pirogue, de Moussa Touré (France-Sénégal, 2011, 1 h 10), raconte l’exil d’une trentaine de personnes à bord d’une pirogue sénégalaise baptisée Goor Fitt en wolof : « Qui n’a peur de rien ». Entassés à bord, les migrants restent attachés à leurs rêves : devenir footballeur, musicien, gagner de l’argent ou se faire poser une prothèse de jambe. La caméra, placée au plus près des personnages, parvient à faire sentir l’angoisse qui monte à l’arrivée d’un orage, ou le désespoir qui surgit quand le moteur du bateau finit par rendre l’âme.

Vangelo de Pippo Delbono

Le rêve est au cœur du désastre, l’énergie vitale au cœur du désespoir. Le dramaturge et vidéaste romain Pippo Delbono (né en 1959) associe dans son spectacle de 2017 qui mêle théâtre et vidéo, ainsi que dans son film Vangelo (2016, 1 h 25) qui porte le même nom, la dernière parole filmée que sa mère lui a adressée avant de mourir : « Pourquoi ne fais-tu pas un spectacle sur les Évangiles ? », à une interrogation liée aux migrants qu’il a côtoyés et filmés. De son expérience, il retient ces images :

« À la fin, ne me sont restées que ces images, ces voix, ces sons, ces échos et ces silences entendus dans les camps des Roms et des réfugiés et dans les couloirs de l’hôpital, mais aussi cette force vitale, cette joie inexplicable trouvée dans les lieux affectés à la douleur »((Note d’intention de Vangelo que j’ai vu au théâtre du Rond-Point à Paris en janvier 2017.)).

Dans plusieurs entretiens((Rencontre au théâtre du Rond-Point autour d’Orchidées, 9 février 2014.)), Pippo Delbono souligne qu’il existe des sujets tabous en Afrique, comme le sida et l’homosexualité, sujets qui le concernent personnellement((P. Delbono, 2008.)), mais qu’il y rencontre des gens plus vivants qu’en Europe. Dans Vangelo, il filme un Nigérian qui représente le Christ, soit le symbole même de la souffrance mais aussi de l’espoir. Car ce Nigérian, par sa joie de vivre, malgré le trauma des guerres, des déplacements et des naufrages, l’aide à vivre. Pippo Delbono a fait de ce sujet, le thème de son dernier spectacle de 2019, intitulé La joie (La gioia)((La gioia a été présentée pour la première fois en octobre 2019 à Paris au théâtre du Rond-Point. Pour une analyse de l’œuvre de Pippo Delbono, voir C. Fortier, 2020a.)).

Des migrants aux marins : y retourner coûte que coûte

La figure de l’aventurier qu’incarne le migrant résonne avec d’autres figures similaires, notamment celle du marin qui parcourt les océans malgré les dangers. En outre, pour le migrant comme pour le marin, tenter l’aventure c’est aussi parfaire ses qualités viriles, surmonter les obstacles, et faire montre de courage. En effet, dans de nombreuses sociétés, la virilité est définie par le fait de gagner des défis et de braver l’inconnu((À ce sujet, voir C. Fortier, 2003.)). Comme le déclare le marin Philippe Martinez dans le film de Séverine Vermersch, Dans leurs yeux (2016, 52 mns) :

« “L’inconnu me dévore”, c’est ça être marin, partir à la recherche de l’inconnu, il y a une part de ça… ! ».

Les migrants qui ne parviennent pas à rejoindre l’Europe ou qui sont expulsés, en dépit des échecs qu’ils subissent, retentent inlassablement l’aventure. De même, malgré les infortunes de mer, les marins y retournent toujours. Le mot « partir » revient comme un leitmotiv dans la série de films, Portraits de mer en Finistère((https://www.canal-u.tv/producteurs/ehess/laboratoire_d_anthropologie_sociale/portraits_de_mer_en_finistere)), que j’ai réalisée avec des pêcheurs en Bretagne.

Migrants et marins : un même destin de mer

La situation des migrants « disparus » en Méditerranée n’est pas sans rappeler celle des pêcheurs « disparus en mer ». En Finistère, les péris en mer n’étaient pas rares comme le rappelle André Hémon dans un des films de la série Portraits de mer en Finistère : « Les marins sont de grands secrets. André, fils de pêcheur de Douarnenez » (Corinne Fortier, 2018, 28 mns)((https://www.canal-u.tv/video/ehess/les_marins_sont_de_grands_secrets.48005)). Son père, patron pêcheur, avait retrouvé sur le pont la ceinture d’un matelot, tombé à l’eau sans qu’il s’en aperçoive.

« Les marins sont de grands secrets. André, fils de pêcheur de Douarnenez » (Corinne Fortier, 2018, 28 mns).

Plusieurs chansons de marins font état d’objets repêchés suite à des infortunes de mer tandis que leur propriétaire avait disparu, par exemple dans la chanson « Les marins de Groix » :

« On a retrouvé que son chapeau,/son garde pipe et son couteau. Il vente/c’est le bruit de la mer qui nous tourmente »((Chanson de marin chantée par la chanteuse, modèle et artiste parisienne célèbre durant l’entre-deux-guerres, Kiki de Montparnasse (1901-1953).))

Dans un autre film de cette série, « Le bar à la barre. Le Moineau, ligneur de Concarneau » (Corinne Fortier, 2018, 1 h 55)((Le bar à la barre. Le Moineau, ligneur de Concarneau (Corinne Fortier, 2019, 1h 55), avec texte de présentation, https://www.canal-u.tv/video/ehess/le_bar_a_la_barre_le_moineau.52669)), le protagoniste, Philippe Déru, revient sur plusieurs naufrages ayant eu lieu en 1978, observant que sur sept jeunes hommes formés à l’époque à l’école de pêche de Concarneau, six ont péri en mer.

« Le bar à la barre. Le Moineau, ligneur de Concarneau » (Corinne Fortier, 2019, 1 h 55 mns).

Être témoin d’un « accident de mer » constitue une épreuve pour celui qui y assiste. Thomas Loussern, ancien pêcheur, protagoniste d’un autre film de la même série, « Le danger y a toujours ! Thomas, pêcheur de Penmarc’h »((https://www.canal-u.tv/video/ehess/le_danger_y_a_toujours_thomas_pecheur_de_penmar_ch.48009)) (Corinne Fortier, 2018, 14 mns), relate qu’en tant que mousse, à quatorze ans, il a été témoin d’un accident mortel qui l’a marqué, mais qui ne l’a pas empêché d’embarquer de nouveau.

« Le danger y a toujours ! Thomas, pêcheur de Penmarc'h » (Corinne Fortier, 2018, 14 mns).

Dans cet autre « portrait de mer » que j’ai réalisé : « Ben oui c’est encore les femmes ! Michèle, femme de marin » (Corinne Fortier, 2018, 14 mns), Michèle Michaud raconte qu’alors que la tempête grondait et qu’elle était suspendue à la radio maritime, elle entendit qu’un chalutier de la Rochelle était « parti les mâts en avant »((Au sujet de l’attente des femmes marins et de leur anxiété face au risque de naufrage de leur mari, voir C. Fortier, 2020b.)) ! Son mari, qui avait l’habitude de travailler sur ce bateau en tant que mécanicien, n’était pas à bord cette fois-là. Cela lui permit d’échapper au coup du sort qui coûta la vie à l’ensemble de l’équipage, mais il en resta profondément traumatisé. Malgré ce trauma psychologique, pour lequel il fut hospitalisé, il retourna sur cette mer qui est « toute sa vie » et qui fait vivre sa famille.

« Ben oui c'est encore les femmes ! Michèle, femme de marin » (Corinne Fortier, 2018, 14 mns)

Des marins au secours des migrants

La Méditerranée, berceau de notre civilisation comme le disait l’historien Bernard Braudel((B. Braudel, 1999.)), est devenue le symbole de notre barbarie. Début 2019, le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) soulignait que

« la Méditerranée est depuis plusieurs années la voie maritime la plus meurtrière au monde pour les réfugiés et les migrants, avec un taux de mortalité qui a fortement augmenté »((« Plus de 2.260 migrants sont morts en tentant de traverser la Méditerranée en 2018 », La Croix, 3 janvier 2019, https://www.la-croix.com/Monde/2-260-migrants-sont-morts-tentant-traverser-Mediterranee-2018-2019-01-03-1300992983)).

Les marins sont souvent aux premières loges pour porter secours aux migrants((Comme le montre le film de Laura Auriole et d’Annalisa Lendaro, Benvenuti (2016, 55 mns).)), ce fut le cas en 2014 du pêcheur Philippe Martinez qui déclara :

« Je ne suis pas un héros. Je n’ai pas du tout risqué ma vie. En tant que marins, nous avons l’obligation de porter assistance aux personnes en mer. C’est dans les lois. C’est ce qu’on apprend à l’Académie de marine ».

Ce même marin répétera dans le documentaire Dans leurs yeux, déjà cité, : « Ces gens comptent sur nous comme nous pouvons compter sur eux »((« Philippe Martinez, l’honneur d’un capitaine » article Polka Magazine, 2014-2015 par Élisa Mignot. https://www.polkamagazine.com/philippe-martinez-lhonneur-dun-capitaine/)).

Mais cette valeur de réciprocité, du don et du contre don, chère à Marcel Mauss((M. Mauss, 1980.)), liée au devoir de porter secours à un navire en difficulté, devient de plus en plus malmenée, comme le montre un nouveau décret italien passé en juin 2019, à l’initiative de Matteo Salvini. Il punit de prison toute organisation non gouvernementale secourant une embarcation transportant des migrants((The Guardian, 3 août 2019, https://www.theguardian.com/world/2019/aug/03/sicilian-fishermen-risk-prison-to-rescue-migrants-off-libya-italy-salvini)), ce que continuait néanmoins à faire, malgré les poursuites judiciaires, des pêcheurs siciliens en août 2019, tel Carlo Giarratano qui s’en explique au journaliste italien Lorenzo Tondo :

« Je sais dans mon cœur qu’une mauvaise conscience aurait été pire que la prison. J’aurais été maudit jusqu’à ma mort, et même après, par ces appels à l’aide désespérés […]. S’il y a des gens en danger en mer, on les sauve, sans demander d’où ils viennent et la couleur de leur peau ».

Les principes de solidarité et de secours mutuel sont à l’œuvre en mer comme dans le désert((C. Fortier, 2004b.)), ainsi que le souligne le pêcheur Philippe Déru dans le film déjà cité, « Le bar à la barre. Le Moineau, ligneur de Concarneau »((https://www.canalu.tv/producteurs/ehess/laboratoire_d_anthropologie_sociale/portraits_de_mer_en_finisere)).

Péris en mer

En 2019, alors que les bateaux d’ONG sont entravés par les États européens dans leur travail de sauvetage, beaucoup de naufrages ne font aucun rescapé. Les capitaines Carola Rackete et Pia Klemp de l’ONG Sea-Watch 3, poursuivies par la justice italienne pour être entrées en juillet 2019 dans le port de Lampedusa afin de ramener à terre des migrants qu’elles avaient secourus, déclareront : « Ces êtres humains, personne n’en veut »((« Carola Rakete. Ces êtres humains, personne n’en veut », Le Point. https://www.lepoint.fr/europe/carola-rackete-ces-etres-humains-personne-n-en-veut-08-07-2019-2323310_2626.php)). De même, en août 2019, les rescapés du nouveau bateau de l’association SOS Méditerranée, l’Ocean Viking, en remplacement de l’Aquarius, interdit de pavillon, ont dû rester douze jours en mer suite au refus de l’Italie et de Malte de rejoindre leurs ports tant pour débarquer que pour se ravitailler en nourriture et en carburant((« Malte refuse le plein de carburant au bateau humanitaire Ocean Viking », Le Point, AFP, le 8 août 2019, https://www.lepoint.fr/monde/malte-refuse-le-plein-de-carburant-au-bateau-humanitaire-ocean-viking-08-08-2019-2328913_24.php.)).

Face à l’indifférence des États, l’association SOS Méditerranée avait réaffirmé fin juillet 2019 le pouvoir d’action de la société civile :

« L’absence d’initiative de la part des États européens pour créer un mécanisme de sauvetage durable, partagé et prévisible contraint la société civile, à travers SOS, à retourner en mer pour sauver des vies »((« L’équipe de l’Aquarius retourne en mer sur Ocean Viking pour sauver des migrants au large de la Libye », Huffingtonpost, 21 juillet 2019, https://www.huffingtonpost.fr/entry/laquarius-retourne-en-mer-pour-sauver-des-migrants-au-large-de-la-libye_fr_5d340ab1e4b020cd994497aa)).

L’Ocean Viking sera finalement autorisé à débarquer à Malte le 23 août 2019 après que six pays européens ont trouvé un accord pour accueillir les trois cent cinquante-quatre migrants secourus.

L’ONG Médecins sans frontières rappelle que, selon les estimations des garde-côtes libyens :

« Environ la moitié des embarcations qui prennent le départ se perdent en mer, soit des centaines de personnes qui disparaissent sans laisser de traces »((« Après l’Open Arms, les 356 rescapés de l’Ocean Viking restent bloqués en mer », Le Figaro, 21 août 2019. http://www.lefigaro.fr/international/apres-l-open-arms-les-356-rescapes-de-l-ocean-viking-restent-bloques-en-mer-20190821)).

L’Europe ne veut de ces migrants ni vivants ni morts. Leurs dépouilles même se révèlent encombrantes. Aussi, quand les Européens laissent la mer faire son travail de dévoreuse d’hommes, le « problème des migrants » devient « soluble » dans l’eau. Comme dans les tableaux de Marjatta Taburet, protagoniste du film Marjatta l’éblouie (Corinne Fortier, 2017, 52 mns), la mer de bleu azur est devenue rouge sang.

« Ile de Sein », peinture de Marjatta Taburet (collection particulière, photo © Corinne Fortier)

« Ile de Sein », peinture de Marjatta Taburet (collection particulière, photo © Corinne Fortier)

En juillet et août 2019, alors que j’écris ces lignes, ce sont des centaines de corps naufragés, d’hommes, de femmes et d’enfants que la mer refoule sur les plages de Djerba devant des touristes médusés. En cette période, la télévision parle beaucoup de mer et de plage, mais jamais sous cet aspect macabre, afin de ne pas troubler les vacances des estivants. Pourtant, la mer, en ramenant ces noyés à terre, comme un retour du refoulé, vient rappeler les conséquences tragiques de notre inaction collective.

Le nom des morts

Que faire de ces corps dont personne ne veut ni vivants ni morts ? Un pêcheur tunisien de Zarzis, Chamssedine Marzouki((« Vidéo : le combat d’un homme, en Tunisie, pour enterrer dignement les migrants morts en mer », Infomigrants, 1er novembre 2018. https://www.infomigrants.net/fr/post/13071/video-le-combat-d-un-homme-en-tunisie-pour-enterrer-dignement-les-migrants-morts-en-mer)) – dont les deux fils ont eux-mêmes risqué leur vie en traversant la Méditerranée en bateau pour rejoindre l’Europe – a entrepris depuis 2010 de les enterrer sur une ancienne décharge. Ce cimetière est appelé le « cimetière des inconnus » car les corps ne peuvent être identifiés, et à la place des noms, figure un numéro((De même, dans le cimetière pour migrants de Tajoura en Libye les migrants n’ont pas de noms mais des numéros, « Inhumation de 46 migrants morts dans un naufrage au large de Khoms », AFP, 28 juillet 2019, Libye, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/libye-inhumation-de-46-migrants-morts-dans-un-naufrage-au-large-de-khoms-20190728)). De même, à Lesbos, c’est grâce à l’initiative d’un Égyptien installé en Grèce, Mustafa Dawa, que les corps refoulés sur la plage ont trouvé une terre d’accueil, celle-là même qui ne les a pas accueillis de leur vivant.

Chamssedine Marzouki a planté au-dessus de leur corps une branche d’olivier et déposé de simples brindilles encore vertes selon l’usage musulman. Dans une publication antérieure, j’ai montré que cet usage((C. Fortier, 2006, p. 235.)), déjà noté en 1795 par le voyageur Mungo Park((M. Park, 1996, p. 54.)), également connu d’autres pays musulmans, notamment en Égypte ou en Mauritanie, se révèle, après analyse des sources scripturaires musulmanes, inspiré d’une parole du Prophète (hadith). En effet, celui-ci passant près de deux sépultures dont les habitants subissaient des tourments, aurait pris une branche de palmier verte et, la cassant par la moitié, planta chacun des morceaux sur l’une des tombes((M. Bukhârî, 1977, p. 439.)). À ceux qui l’interrogeaient sur la finalité d’un tel geste, Mahomet répondit :

« Dans l’espoir qu’ils éprouveront quelque soulagement tant que ces branches ne sont pas desséchées »((Ibid.)).

Sans corps mais pas sans funérailles

Comment les familles privées du corps de leur proche, décédé durant son parcours migratoire, peuvent-elles organiser ses funérailles et honorer sa mémoire ? En islam, on ne peut procéder à un enterrement si on ne dispose pas du corps, mais on peut toutefois célébrer des funérailles en lisant une prière spécifique dite « prière de l’absent » (ṣalât al-ghayb).

De même, dans le catholicisme, un mort dont on n’a pas retrouvé le corps ne peut disposer d’une tombe. Sur l’île d’Ouessant, suite aux nombreux naufrages, un rite funéraire avait été créé((Il aurait subsisté jusque dans les années 1960.)) autour d’une ­petite croix de cire, nommée proëlla – dérivé du terme en breton bro-ella qui signifierait « retour au pays » –, représentant le corps du disparu en mer.

Croix de proëlla, collection musée de Bretagne, Rennes, domaine public

Croix de proëlla, collection musée de Bretagne, Rennes, domaine public

La proëlla était veillée à la place du corps du défunt et portée en procession à l’église où elle était conservée dans une urne en bois((F. Perron, 1997.)). Dans le cimetière de l’île d’Ouessant figure un oratoire contenant les croix de cire où il est inscrit :

« ICI nous déposons les croix de PROELLA en souvenir des marins morts loin du pays, dans les guerres, les maladies et les naufrages ».

Urne à pröella, cimetière d'Ouessant (domaine public)

Urne à pröella, cimetière d'Ouessant (domaine public)

Des corps sans identités

Les migrants sont le plus souvent enterrés dans des tombes anonymes. N’est-ce pas le summum de l’indifférence de mourir sans que son identité ne soit reconnue ? Question que les migrants se posent quand il s’agit de savoir s’ils ne doivent plus avoir sur eux leurs papiers pour s’inventer une histoire correspondant aux critères du « bon réfugié » qui leur permettra de demander l’asile au cas où la traversée réussisse, ou au contraire les garder dans leur poche afin que, s’ils mouraient, leur famille, prévenue, organise leur cérémonie funéraire selon leur religion.

L’identification peut être compliquée comme le montre la rencontre de Mustafa Dawa avec une femme syrienne venue d’Allemagne à la recherche de sa sœur disparue :

« Elle cherchait sa sœur et ses enfants. Elle avait une photo de celle-ci, mais c’était très difficile de l’identifier… Elle était reconnaissable seulement grâce à une cicatrice qu’elle portait sur le corps »((« Au nom de tous les morts », Amnesty International, 11 juin 2018, https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/au-nom-de-tous-les-morts)).

Des prélèvements ADN ont été effectués sur les corps retrouvés en Tunisie ou en Sicile après le « naufrage du 18 avril 2015 » pour tenter de redonner une identité à ces migrants((Taina Tervonen (2019) est partie sur les traces d’une des victimes du naufrage du 18 avril 2015 désignée par le code PM390047.)). En Italie, suite à ce drame, le Bureau des personnes disparues de Rome a mis au point une banque de données pour restituer à ces corps, après autopsie, leurs noms, leurs dates de naissance, et retrouver leurs familles. Si les renseignements (cicatrices, photos…) fournis par un parent à la recherche d’un proche ayant migré recoupent ceux de la banque de données, des analyses ADN à partir d’un échantillon de salive, de cheveux ou de sang de ce parent sont réalisées et comparées à celle du mort afin d’établir son identité.

Comme l’explique la légiste Cristina Cattaneo à l’initiative de cette procédure :

« Les victimes d’un même naufrage peuvent échouer sur le territoire de plusieurs pays. Sans un fichier central européen, le travail devient très compliqué. Et les proches devraient pouvoir donner les informations et les échantillons ADN dans le pays où ils se trouvent. L’Union européenne aurait un rôle à jouer […]. L’Europe est sourde à tout ça. Parfois, j’ai l’impression qu’ils ne savent même pas ce qui se passe sur la Méditerranée »((« La légiste et les corps sans nom » par Taina Tervonen, Les Jours, 14 janvier 2018, https://lesjours.fr/obsessions/migrants/ep2-disparus/)).

Parmi les migrants, nombreux proviennent de pays musulmans ou chrétiens. Or, en islam comme dans le christianisme, la vie après la mort d’une personne, en l’occurrence son entrée au paradis, en enfer, ou au purgatoire, dépend étroitement de la manière dont elle a mené sa vie terrestre. Dans le cas des péris en mer, le processus d’identification des corps constitue donc un enjeu fondamental non seulement pour la famille mais pour l’individu lui-même((C. Fortier, 2005.)). Les migrants dont les corps ne sont pas identifiés sont morts deux fois, puisque c’est non seulement leur vie ici-bas qui leur est confisquée, mais celle dans l’au-delà, vie qui est tout aussi importante que la première pour de nombreux migrants qu’ils soient musulmans, chrétiens((« Tunisie, un cimetière pour les migrants », Arte Journal (2017, 7 mns), https://www.arte.tv/fr/videos/079338-000-A/tunisie-un-cimetiere-pour-les-migrants/))…

Des stèles avec ou sans noms

Nombreuses sont les stèles sur les côtes bretonnes rendant hommage aux marins péris en mer comportant le plus souvent leurs noms, leurs dates de naissance et de mort, ainsi que, parfois, le nom du bateau. C’est le cas « du mur des disparus » du cimetière de Ploubazlanec dans les Côtes-d’Armor qui, bien que réaménagé aujourd’hui, provient originellement de la dévotion populaire des familles de péris en mer :

« Progressivement depuis 1859 et seulement jusqu’en 1913, suivant l’impitoyable succession des naufrages particulièrement en Islande((Il s’saisissait des Terre-Neuvas qui allaient pêcher la morue en Islande et qui étaient pour cette raison appelés en Bretagne les « Islandais ».)), les familles “des péris en mer” de Ploubazlanec prirent l’habitude d’apposer sur un mur du cimetière, des croix, des couronnes et des panneaux de bois appelés “Mémoires” parce qu’ils commençaient tous par la formule “à la mémoire de”, “en mémoire de”. Elles voulaient ainsi perpétuer le souvenir de leurs chers disparus et venaient ici se recueillir et prier devant ce mur, comme les autres familles, dans le respect du culte des morts »((Témoignage de Louis Corouge, ancien adjoint au maire de Ploubazlanec, « L’inventaire du patrimoine culturel en Bretagne », http://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/ensemble-cultuel-dit-le-mur-des-disparus-cimetiere-ploubazlanec/3a9f9faa-c956-421f-84b9-00f9c4ffae13)).

« Mur des disparus » de Ploubazlanec dans les Côtes-d'Armor (domaine public).

« Mur des disparus » de Ploubazlanec dans les Côtes-d'Armor (domaine public).

On compte à ce jour très peu de stèles dédiées aux migrants comparées à celles des marins péris en mer : il existe celle de Lampedusa conçue par l’artiste italien Mimmo Paladino (né en 1948) en 2008, intitulée « Porta di Lampedusa. Porta d’Europa » formant une arche donnant sur la Méditerranée, et celle de Catane, érigée à la suite du « naufrage du 18 avril 2015 »((« Le cimetière de Catane », Les Jours, https://lesjours.fr/obsessions/migrants/ep21-espagne/#cimetiere-catane.)), étrangement intitulée « L’espérance des Naufragés », représentant un homme marchant sur la mer qui rappelle, une fois encore, la figure du Christ((« Catane, dernière demeure pour les migrants morts en mer », Le Monde, 3 septembre 2016, https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/09/03/catane-derniere-demeure-pour-les-migrants-morts-en-mer_499204ven7_3214.html )).

À la différence des stèles dédiées aux marins, celles des migrants ne portent pas de noms. À Catane, les migrants sont enterrés dans un carré à l’écart, les tombes étant identifiées par un code inscrit sur de petites pancartes : « C’est ici que repose PM390047, dans la tombe numéro 27, avec PM390022 et PM390024 ». Jusqu’à récemment, une seule pancarte comportait un prénom etun nom : « Muyasar Bashtawi. Syria 3.9.1954. Dead 30.6.2015 »((« La légiste et les corps sans nom » par Taina Tervonen, Les Jours, 14 janvier 2018,  https://lesjours.fr/obsessions/migrants/ep2-disparus/)). Vivants ou morts, les migrants sont une fois encore anonymisés, déshumanisés, et invisibilisés. Restituer leur nom constitue donc un enjeu fondamental, de même que témoigner de leur histoire, de leur courage et de leur résilience, et en ce sens l’image quand elle évite les pièges de l’esthétisation représente un outil de conscientisation éminemment puissant.

C’est le cas du film du réalisateur, lui-même migrant, Dagmawi Yimer, intitulé AsmatNames in memory of all the victims of the sea (2014, 17, 19 mns)((Disponible en ligne : https://vimeo.com/114343040. Voir à son sujet, l’article de G. Scafirimuto dans ce numéro.)), « Les noms en hommage à toutes les victimes de la mer », qui redonne aux migrants disparus en mer une corporalité par le surgissement visuel de leurs noms en écriture amharique ainsi que par leur profération incantatoire. En enrichissant le médium occidental du cinéma((Dagmawi Yimer a découvert le cinéma en Italie ; il est le protagoniste du documentaire qu’il a réalisé avec Andrea Segre, Come un uomo sulla terra (Comme un homme sur la terre) (2008, 1 h 08), où il raconte son parcours migratoire de l’Éthiopie jusqu’à Lampedusa avant de devenir lui-même réalisateur de ses propres films. Voir à ce sujet, G. Scafirimuto, 2019, dans ce même volume.)) de sa propre culture éthiopienne, il réalise de ce fait une hybridation((Sur ce concept, voir F. Le Héouérou, 2019, dans ce même volume.)) féconde et créative sur le plan culturel et filmique, tout en renouant avec le caractère fondamentalement résurrectionnel et « thanathographique »((A. Bazin, 1985 (or. 1945), p. 12.)) du cinéma.

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Références filmiques

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Delbono P., « Vangelo »​ (2016, 1 h 25).

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Fortier C. « Ben oui c’est encore les femmes ! Danièle, femme de marin » (2018, 14 mns), https://www.canalu.tv/producteurs/ehess/laboratoire_d_anthropologie_sociale/portraits_de_mer_en_finisere

Fortier C., « Le danger y a toujours ! Thomas, pêcheur de Penmarc’h » (2018, 14 mns)

https://www.canal-u.tv/video/ehess/le_danger_y_a_toujours_thomas_pecheur_de_penmar_ch.48009​

Fortier C., « J’ai fait de jolis coups ! Claude, pêcheur de Kerity Penmarc’h » (2019, 1 h 18), https://www.canal-u.tv/video/ehess/j_ai_fait_de_jolis_coups.52191.

Fortier C., « Le bar à la barre. Le Moineau, ligneur de Concarneau » (2019, 1 h 55), https://www.canal-u.tv/video/ehess/le_bar_a_la_barre_le_moineau.52669​

Lioret P., « Welcome » (2009, 1 h 50, Nord-Ouest productions).

Mari J-P., « Les migrants ne savent pas nager » (2016, 52 mns).

Pénicaud M., « Cimetière des bateaux de migrants à Lampedusa » (2017, 3 mns).

Odye F., « Les veilleuses de chagrin » (2015, 52 mns, Palikao Films).

Touré M., « La pirogue » (France-Sénégal, 2011, 1 h 10).

Vermersch S., « Dans leurs yeux » (2016, 52 mns, Mille et une films).

Yimer D., « Asmat-Names in memory of all the victims of the sea » (2014, 17, 19 mns).

Corinne Fortier
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"À corps perdus. Migrants, marins et bateaux naufragés : entre conscientisation et esthétisation." Revue Science and Video [Online]. Available: https://scienceandvideo.mmsh.fr/9-4/. [Accessed: 21 décembre 2024]
Revue Science and Video (21 décembre 2024) À corps perdus. Migrants, marins et bateaux naufragés : entre conscientisation et esthétisation. Retrieved from https://scienceandvideo.mmsh.fr/9-4/.
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